25 juin 2021
Il paraît que je suis ce qu’on appelle en portugais un maduro. Le dictionnaire de Porto Editoria propose comme traduction « sage, prudent », mais ne dit rien du sens colloquial du mot. Il faut aller chercher le deuxième sens de madureza : « toquade, manie, bizarrerie ». Bref, je serais quelqu’un, au choix, de toqué, maniaque, bizarre. Un vrai excentrique. Un de mes achats, il y a quelques années déjà, m’a valu ce qualificatif flatteur de la part d’une personne aimée. J’ai en effet profité des soldes à la librairie de la Fundaçao Gulbenkian pour acquérir les deux gros volumes de l’Ulisseia ou Lisboa edificada de Gabriel Pereira de Castro (GPC), publiée en 1636 et dont l’édition scientifique a été réalisée en 2004 par J.A. Segurado e Campos (JASC). Près de 1700 pages, au prix de quelques pasteis de nata. En deux mots, il s’agit du récit épique de la fondation de Lisbonne par Ulysse.

C’est que j’aime les épopées. Je sais, cela fait maduro et même un peu ringard d’aimer les épopées. « Nous vivons une époque épique et nous n’avons plus rien d’épique » écrivait Ferré en 1956, j’étais à peine né, dans sa « Préface » à Poète…vos papiers. Je ne sais pas d’où cela me vient. Peut-être du fait que mon père, sérieux et aride comme un professeur de chimie, me confia un jour que l’Iliade était le seul livre à l’avoir fait pleurer. A quinze ans, j’ai dévoré la Légende des siècles et je me souviens encore du jeune Aymerillot :
« Deux liards couvriraient fort bien toutes mes terres,
Mais tout le grand ciel bleu n’emplirait pas mon cœur. »
Je me souviens aussi de notre prof de français, Henri « Saturnin » Sépulchre, très vielle école, qui avait l’audace, dans une banlieue ouvrière, de faire cours sur l’histoire de l’épopée à des gamins qu’intéressaient plus les Pink Floyd, Joe Cocker et Jimi Heindrix. Le jeudi après-midi, après la double ration de frites servies à la cantine, c’était un peu lourd à digérer. Mais quels beaux souvenirs ! Voilà quelqu’un qui vous donnait envie de lire la Divine Comédie, les Luisiades et le Maharabhata. Plus tard, en fac, j’ai séché sur quelque texte de Chrestien de Troyes, dans un enseignement réduit à la phonologie et à la grammaire de l’ancien français. Le goût de lectures un peu arides me passa. Mais Jean-Pierre Faye, avec son Récit hunique ou Jean-François Lyotard avec sa théorie des « grands récits » en voie de disparition à l’ère du post-modernisme maintinrent mon intérêt théorique pour les narrations fondatrices, de villes, de pays, de mouvements politiques. Et mon attachement affectif pour les épopées demeura. Je me souviens de l’émotion en découvrant la profondeur des gorges de Ronceval. A Chios, j’eu la fatuité de m’asseoir sur le siège que l’on dit être celui d’Homère. Un petit fragment de pierre s’en est détaché, que je conserve précieusement dans une petit écrin de bois peint. Et j’en veux toujours à un collègue qui, à Reykjavik, déclina de manière autoritaire l’aimable proposition que notre hôte nous faisait d’aller jeter un coup d’oeil sur les manuscrits des sagas islandaises.
Un jour, je fis l’acquisition, chez un alfarrabiste liégeois, des deux volumes de La Gloire belgique, poème national en dix chants, suivis de remarques historiques sur tout ce qui fait connaître cette gloire, depuis l’origine de la nation jusqu’aujourd’hui, publiée, guarda caso, en 1830, année de la Révolution nationale, par Adrien Jacques Joseph Le Mayeur, et qui commence ainsi :
« Je chante ce pays rival de l’Italie,
Par son agriculture et son industrie ;
Pays à qui l’Anglais doit le plan de ses lois ;
Le Français son Clovis, et trois souches de Rois,
L’Europe, des héros d’une valeur sublime ;
L’Asie, un conquérant, seul vainqueur à Solyme ;
La terre le bienfait de mille inventions,
Transmises de nos bras aux autres nations ;
La mer, sur tous les bords où s’étend le commerce,
L’un des premiers essais des trésors qu’il nous verse ».
Je ne connais aucune histoire de la littérature de mon pays, souvent frappé d’amnésie, qui cite cette oeuvre étrange, illisible et quasi comique. Les allusions historiques de La Gloire belgique – belgique étant ici un adjectif pour une supposé nation qui n’avait pas encore d’Etat – sont tellement obscures que l’auteur s’est senti tenu de rédiger lui mêmes les notes explicatives en bas de page. Voilà une gageure que l’éditeur de l’Ulisseia ou Lisboa edificada de GFC ne s’est pas senti tenu d’accomplir. Il s’est plutôt attaché à étudier les différentes versions du texte et à produire une analyse structurale du texte, à la Gérard Genette, qui occupe les neuf dixièmes du deuxième volume.
L’Ulisseia n’a pas la notoriété des Luisiades de Camões, publiées soixante-quatre ans auparavant et qui déjà évoquait le mythe :
« Ulisses é o que faz a santa casa
A Deusa, que lhe dá língua facunda;
Que, se lá na Ásia Tróia insigne abrasa,
Cá na Europa Lisboa ingente funda. » (Os Lusíadas, Canto VIII, 5)
ce que Roger Bismut traduit
« C’est Ulysse; il bâtit le saint édifice pour la déesse qui lui fit don de l’éloquence. Car s’il embrase en Asie, là-bas, l’insigne Troie, il fonde ici en Europe l’immense Lisbonne ».
Une grande partie des dix chants de l’Ulisseia ne fait que réécrire une histoire qui nous est bien connue, celle des pérégrinations du héros rusés entre Troie et Ithaque. La geste des conquérants portugais, et en particulier le voyage aux Indes de Vasco de Gama, qui était l’objet des Luisiades, est également conté à nouveau. Comme l’explique l’éditeur : « L’intérêt du poème de Gabriel Pereira de Castro, à une époque où la mythologie classique ne fait plus partie, comme c’était le cas à son époque, du bagage d’un lecteur raisonnablement cultivé, réside surtout dans les aspects techniques de la composition. Quand GPC écrivait, le poème se profilait à l’horizon du public lecteur, comme dans l’esprit de l’écrivain, une théorie des modèles littéraires dont la connaissance était présupposée jusque dans les détails, et dont l’imitation, loin de dénoter un manque d’originalité, était tenue comme un signe de degré élevé de culture. » JASC s’emploie avec brio à déceler les emprunts formels, dans la narration, dans les thèmes, que GFC fait à Homère, Virgile, Ovide ou Camões.
« Les armes et l’homme qui franchit les champs peu sûrs de l’Egée et de l’Océan, qui par les dangers et les travaux durs rendit éternel son nom souverain, sema les grains de Lisbonne et ses premiers murs (haute tête de l’Europe et de l’immense empire lusitanien), voilà, si je puis en faire autant, ce que je chante pour la patrie, le monde et l’éternité. »
Je pense que plus aucun Portugais sain d’esprit ne lit l’Ulisseia, mais le mythe fondateur reste discrètement présent pour qui sait l’observer. Un buste d’Ulysse est en bonne place sous le grand ciel bleu dans le Jardim San Pedro de Alcantara, juste en dessous de la terrasse du miradouro.

Fernando Pessoa, dans son recueil Mensagem, qui est aussi un livre national, esquisse une théorie du mythe.
ULISSES
O mito é o nada que é tudo.
O mesmo sol que abre os céus
É um mito brilhante e mudo —
O corpo morto de Deus,
Vivo e desnudo.
Este, que aqui aportou,
Foi por não ser existindo.
Sem existir nos bastou.
Por não ter vindo foi vindo
E nos criou.
Assim a lenda se escorre
A entrar na realidade,
E a fecundá-la decorre.
Em baixo, a vida, metade
De nada, morre.
Ce que les traducteurs (Maria Antónia Câmara Manuel, Michel Chandeigne et Patrick Quillier) traduisent :
ULYSSE
Le mythe est le rien qui est tout.
Le soleil même, ouvrant les cieux,
Est un mythe brillant et muet –
Dépouille mortelle de Dieu,
Vivante, mise à nu.
Lui, qui trouva ici un havre,
Fut existant de n’être pas.
Sans exister il nous combla.
N’étant pas venu, il nous vint
Et fut qui nous créa.
La légende ainsi se distille
Pénétrant la réalité,
Qu’en son parcours elle féconde.
Plus bas la vie, moitié
De tien, se meurt.
Sous les années de la dictature salazariste, en 1948, Joaquim Figueiredo Magalhães lança la maison d’édition Ulisseia, considérée comme la première maison d’édition moderne au Portugal, et qui fut souvent confrontée à la censure de la PIDE. Rua do Carmo, on peut observer l’élégante et étroite façade de la Luvaria Ulisses, dans le style art nouveau portugais, un des rares magasins, vendant uniquement des gants, qui échappa au terrible incendie qui, en 1988, détruisit la quasi totalité du quartier du Chiado. Une triennale d’architecture organisée à Lisbonne s’appelle l’Ulisseia et une résidence pour touristes emprunte le même nom. Une des meilleures chanteuses portugaises de ces dernières années, Cristina Branco, n’a pas manqué d’intituler un de ses albums Ulisses.

Une étymologie populaire courante rapproche le nom romain de la ville Olissipo (qui me fait toujours penser à l’Oulipo) du nom d’Ulysse. Les éditeurs de Pessoa dans la collection Bibliothèque de Pléiade le rappellent en note : « Parce qu’il aurait mouillé dans l’estuaire du Tage, en y fondant Olisipo, autrement dit Olisipolis (la ville d’Ulysse, le héros grec est le mythe inaugural de Lisbonne, qui permet de relier le Portugal à la Grèce ».
Les historiens ont pour mission de décevoir le mythe. Certains pensent que Olissipo est d’origine phénicienne et, de fait, depuis les années 90, de nombreuses traces de colonisation sur la côte portugaise ont été découvertes. Mais les contributions scientifiques les plus récentes insèrent plutôt la fondation de Lisbonne dans l’expansion de la civilisation tartésienne, qui s’est développée à l’embouchure du Guadalquivir à partir du VIIIe siècle avant J.C. Le tartésien était une langue écrite, dont 95 inscriptions ont été découvertes dans le Sud de l’Espagne et en Algarve, le plus souvent dans des nécropoles datant de l’âge de fer. Les Tartésiens sont probablement ces Turdétaniens qu’évoque Strabon, en l’an 7 avant J.C. « Les Turdétaniens sont classés parmi les plus sages des Ibères ; et ils utilisent un alphabet et possèdent des archives de leur histoire ancienne, des poèmes et des lois écrites en vers vieux de six mille ans, comme ils l’affirment. » On ignore quand le tartessien a cessé d’être parlé, mais Strabon note que la population ne se souvenant même plus de sa propre langue, submergée par le latin des colonisateurs. Certains auteurs évoquent, à propos de la civilisation tartésienne, le mythe de la ville d’Atlantis engloutie.
Je ne sais trop si les Lisboètes, toujours sourcilleux lorsqu’ils s’agit des rapports historiques de leur pays avec l’Espagne, apprécient cette théorie. Toujours est-il qu’il n’ont pas complètement perdu la référence à l’épique, comme en témoigne le succès rencontré depuis dix ans par Uma viagem à India / Un voyage en Inde. Mélancolie contemporaine (un itinéraire) de Gonçalo M. Tavares, paru en 2011 et qu’Eduardo Lourenço considérait comme une des oeuvres majeures de la littérature portugaise du début du XXIe siècle, en la qualifiant de « lumineuse épopée de la déception » :

« Pour nous, tous les voyages sont des « voyages en Inde » et ce n’est pas le moindre des défis que relève avec hardiesse Gonçalo M. Tavares lorsqu’il nous invite à accomplir une nouvelle fois le périple archétypal jusqu’à cette terre où le rêve et la réalité se confondent, en subvertissant le sens du voyage canonique de l’Occident pour en faire une aventure de l’illusion de toutes les quêtes divines et une lumineuse épopée de la déception. Déception à la mesure du désespoir et de l’agonie de l’Occident au moment précis où son histoire et sa méta-histoire, comme pulsion conquérante et épique, l’ont converti tout entier, lui et sa culture placée sous le signe d’Ulysse, à l’extase vide, fascinée par la splendeur de son présent sans futur utopique, glosant sans répit sur sa proliférante absence de sens ».
Dans cette épopée ironique, philosophique, truffée d’aphorismes ingénieux, de métaphores aussi filées qu’inattendues et d’intertextualité savante, dont le héros, Bloom, dont le nom, inévitablement, évoque un autre Ulysses – l’Histoire compte moins que la mythologie. La matérialité des villes est moins signifiante que les récits littéraires :
Entre Proust et la Bhagavad-Gitā,
il existe peut-être des différences plus significatives
qu’entre Paris et Calcutta. Les villes étant
des choses matérielles et concrètes, il y a moins d’espace
pour les inventions et les mensonges. En littérature,
on ment plus volontiers
et deux mensonges se sont toujours plus éloignés l’un de l’autre
que deux vérités.
Il est beaucoup question de villes dan Uma viagem à India. Bloom, avant de rejoindre l’Inde, se déplace à Londres, Paris, Vienne, Prague. Nous apprenons qu’il a déjà vu Rome, Venise, New York. La ville, un peu comme chez Jean-Jacques Rousseau, est implicitement opposée à la nature (dont le narrateur évoque aussi bien les dimensions scientifiques, physiques, biologiques, chimiques, que la réduction dans les quatre éléments de l’alchimie, terre, air, eau, feu). Brièvement, la ville est évoquée comme fondation humaniste : « Il va de soi que les villes sont, malgré tout, / une organisation temporaire de la bonté« . Tout aussitôt, cependant, le narrateur se contredit « Même parmi les plus petits animaux comme les mouches / ou les fourmis, on aura peine à détecter, en ville, / un comportement marqué du sceau de la camaraderie » ou encore « la ville est un instrument qu’il est impossible d’accorder pour plus de quelques heures » ou encore « La ville est un malheur organisé« ). L’histoire des villes importe peu « Les villes, en termes d’indice temporels, sont absurdement incompétentes ».
Lisbonne, ville départ et ville d’arrivée de Bloom, n’est pas décrite, mais esquissée comme une simple matérialité :
Lisbonne, laissez-moi vous le dire, cher Jean M.
est une agglomération d’habitations
avec une loi de gravité à jour,
fait qui mérite l’attention, puisque les lois
de la physique, même lorsqu’elles sont éternelles
et partout respectées,
ne cessent pas pour autant d’être soumises à des contrôles périodiques
de la part de la nature.
Voyez les tremblements de terre, par exemple.
A rebours des épopées classiques, Uma viagem à India cependant, ne se donne pas comme chant de la fondation des villes, des Etats ou des empires. Bien que foncièrement ancré dans la culture portugaise – et le rapport particulier que celle-ci entretient avec l’Inde et l’Orient – le poème foisonnant de Tavares est surtout une épopée de la conscience européenne au début du XXIe siècle, conscience lucide, amère et parfois joyeuse des conséquences de son athéisme et de son matérialisme. Bloom est à la fois une particularité littéraire (il a tué son père après que celui-ci ait fait assassiner la femme qu’il aimait) et un représentant des intellectuels européens, porteurs de l’héritage des « grands phares », Homère, Camões et Joyce, mais aussi Platon, Rimbaud, Goethe, Sophocle, Sénèque et quelques autres. (Je ne suis pas arrivé à identifier avec certitude qui est Jean M, l’interlocuteur et ami parisien de Bloom. Peut-être est-ce Jean Moréas, le fondateur du symbolisme, que rencontra à Paris le poète António Nobre, auteur d’un unique recueil, Só (« Seul« ), « le livre le plus triste qui soit au Portugal » ?).
Uma viagem à India n’évoque pas explicitement l’Ulisseia, ni le mythe d’Ulysse fondateur, mais les réflexions sur la mythologie qu’elle propose peuvent se projeter sur le récit de Gabriel Pereira de Castro aussi bien que sur les Luisiades ou Mensagem.
« Les noces de l’histoire avec l’imagination
ont donné lieu à plus de naissances et à plus de copulations amusantes
que les noces de la vérité avec la bonne mémoire. Elle hurle comme un loup, voilà
l’histoire du monde ; elle a de l’appétit, se sent
isolée ; l’histoire est un fluide qui
passe à côté des hommes, un fluide épais
dans lequel on ne pêche rien et où il est impossible de nager
ou de naviguer ; mais on ment autant en racontant l’histoire
d’un pays qu’en racontant l’histoire d’un amour qui a mal fini ».
C’est à Thom C, en qui l’on reconnaîtra probablement Thomas Carlyle, rencontré par Bloom lors de son escale londonienne, que revient d’expliciter la destruction des mythologies par les historiens :
« Thom C affirma, en mentant,
que certains de ses amis étaient d’une telle puissance
pour annihiler le monde de l’imagination
qu’ils avaient démoli, en à peine une semaine,
toute la mythologie d’un peuple,
des histoires qui, comme chacun sait, mettent des siècles
voire des millénaires à se forger. »
Omniprésence du mensonge. Je pensais à tout cela, ce midi, en dégustant de délicieux samosas aux épices indiennes indéfinissables, chez l’amie Teresa. Un ami, Zé Fernando, spécialiste du patrimoine portugais qui préfère cependant parler de cuisine et de restaurants) était là, mais je n’osai lancer la conversation sur ce thème un peu indigeste. Je me contentai donc de questions factuelles, aux réponses faciles : Vaut-il la peine d’aller à Golegã voir la maison du photographe Carlos Relvas ? La couleur des façades de Lisbonne fait elle l’objet d’une réglementation ? Existe-t-il un nom pour décrire l’architecture Art nouveau dont les formes un peu lourdes sont si particulières à Lisbonne ?
Je gardai pour moi la question la plus madureza : a-t-on le droit de vendre des gants en jouant des connotations de la fille du matin, l’aurore aux doigts de rose ?
Est-ce de Lisbonne que j’écris ou de moi-même ?
Pour Bloom, Lisbonne est une Ithaque, un point de départ et de retour. Pour moi, elle est déjà l’Inde, la Chine, l’Afrique et les Amériques réunies. Bloom part en Inde pour y trouver l’oubli. L’oubli, je le cherche ici, sans le trouver vraiment. Le patriotisme des Portugais, de leurs poètes – je parle du patriotisme senti et non de sa momification dans les idéologies politiques, sportives ou commerciales – ne manque jamais de m’impressionner. Il est fait de ce peu de choses qui font le mythe : la mer, la navigation, la découverte du monde, la langue. C’est puissant, et, comme la vague, constamment renouvelé. Que nous importe à nous la libération de Solyme et du tombeau du Christ ? Quelques uns de nos rois ont voulu en faire notre mythe fondateur, je m’en fiche. A Lisbonne, lorsque le vent est chaud et le soleil accablant, je pense, en contre-chant, au silence terreux de mes ancêtres journaliers, laboureurs, mineurs. C’est d’eux que je ne puis écrire.
L’héritage d’une famille doit provoquer chez l’héritier
surprise et émerveillement. Il est bon
de méconnaître le passé avec une certaine exactitude
– ce qui va pas sans difficulté, car méconnaître exactement
correspond à un mélange entre amnésie et capacité à viser juste,
un mélange entre jardin rectangulaire et catastrophe.
En définitive, c’est chez Sophia de Mello Breyner Andresen que je trouve une esquisse de réconciliation entre la mer et la terre.
O REI DE ÍTACA
A civilização em que estamos é tão errada que
Nela o pensamento se desligou da mão
Ulisses rei de Ítaca carpinteirou seu barco
E gabava-se também de saber conduzir
Num campo a direito o sulco do arado
ce que j’essaye de traduire
LE ROI D’ITHAQUE
La civilisation dans laquelle nous sommes est si erronnée que
En elle, la pensée s’est détachée de la main
Ulysse, roi d’Ithaque, charpenta sa barque
Et il se vantait aussi de savoir conduire
Dans un champ, droit, le soc de charrue.
Lionel, ce n’est pas bien de ne pas retenir le nom de mes amis. C’est vrai que Nuno Vieira de Almeida est un peu théâtral, mais c’est un garçon charmant, qui a suffisamment d’humour pour se moquer de ses idoles et de lui-même.
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