24 avril 2021
Vincent Auriol est le plus oublié des socialistes français. Il ne bénéficie pas d’une aura de prestige similaire à celle de Jean Jaurès, de Léon Blum, de Pierre Mendes-France ou de François Mitterrand. Je pense que beaucoup de Français ne savent même pas qui il était. Elève et disciple de Jaurès, ami et ministre de Blum, il a été de ces socialistes qui ont plaidé le soutien aux Républicains espagnols, voté contre l’investiture du Maréchal Pétain. Arrêté en septembre 1940 en même temps que Blum par le Gouvernement de Vichy, libéré en août 1941 pour raisons de santé, il entre dans la Résistance, rejoint Alger puis le Général de Gaulle à Londres. Ministre d’Etat dans le deuxième gouvernement de De Gaulle, il est ensuite Président de l’Assemblée constituante et est élu premier Président de la IVème République. Il sera ainsi le premier Président français issu de la famille socialiste. Les historiens ont montré qu’il fut bien mieux que l' »inaugurateur des chrysanthèmes », image à laquelle les conservateurs nationalistes ont voulu le réduire. Après l’institution de la Vème République, il devient membre de droit du Conseil constitutionnel en 1959 et refuse, à partir de 1960, de participer aux réunions de celui-ci pour protester contre la conception autoritaire du pouvoir que le Président De Gaulle entend imposer. En 1965, quelques mois avant sa mort, il apporte son soutien à François Mitterrand, candidat contre De Gaulle à la présidence de la République.
Mis à part Line Renaud et les historiens professionnels, plus personne ne semble se souvenir de Vincent Auriol. Les historiens des médias le connaissent, car c’est sous sa présidence que fut crée l’ORTF, mais il devrait faire partie de l’histoire des médias pour une autre raison. La dernière fois que Le Monde en a parlé de manière un peu substantielle, le 8 août 2019, c’était pour raconter cette pratique étonnante : le Président Auriol avait installé dans un tiroir de son bureau en acajou, de style Empire, un magnétophone ramené des Etats-Unis – une innovation à l’époque – qu’il actionnait avec une pédale pour enregistrer les conversations avec ses interlocuteurs. Lorsque la chose fut connue, cela offusqua Mendès-France, mis Pompidou en colère et embêta François Mitterrand, dont il est rapporté qu’il fit retarder la publication du dernier volume des Mémoires d’Auriol, trop détaillées à son sujet. La pratique, qu’Auriol n’utilisa que pour écrire ses mémoires, choquait. Elle fut comparée au Watergate. Nous sommes peut-être un peu moins sévères aujourd’hui, depuis que le Washington Post a diffusé l’enregistrement des pressions de Donald Trump, sur le gouverneur de Géorgie, essayant de lui faire changer le résultat des élections en sa faveur et que ce dévoilement, au fond, nous a bien fait plaisir.
Je ne vous parlerais pas de Vincent Auriol aujourd’hui, si Mina ne m’avait pas suggéré d’aller faire un tour dans le XIIIème arrondissement pour y découvrir le parcours street art, qui a été inauguré en juin 2019. L’essentiel de celui-ci se déroule sur l’ancien Boulevard de la Gare, devenu Boulevard Vincent-Auriol en 1976, dix ans après la mort du Président. Le Boulevard de la Gare, tracé à la fin du XIXème siècle sur l’ancien mur des Fermiers-Généraux, relie la Place d’Italie au Pont de Bercy. Il traversait ce que l’on appelait alors le « hameau d’Austerlitz », occupé par des carriers et des chiffonniers. On y trouvait aussi, à la fin des années 1860, des guinguettes réputées, telles que celles de la Mère Marie et celle du Grand Saint-Nicolas. La raffinerie Say, la plus grande productrice de sucre de canne au monde, y fut active de 1832 à 1968.

Une photographie d’Atget, non datée, nous révèle, comme on pouvait s’en douter, que le Boulevard n’avait pas vraiment bonne mine.


Les vielles maisons basses du 19ème siècle ont été détruites dans les années 60 et 70 et remplacées par des immeubles à étages lors des campagnes de rénovation. Mais le boulevard n’avait guère d’attrait pour les visiteurs. L’essor du street art a un peu changé cela. Depuis 2009, à l’initiative de la Galerie Itinerrance, en partenariat avec la mairie du XIIIe arrondissement, le quartier est devenu un espace ouvert à des projets ambitieux. Des artistes de renom ont été sollicités pour orner les façades des immeubles de fresques géantes, destinées à une certaine pérennité. Le 13 juin 2019 a été inauguré le Projet Boulevard 13, un parcours permettant de découvrir 26 oeuvres disséminées dans le département, mais essentiellement concentrées sur le Boulevard Vincent-Auriol.
Un chauffeur de taxi G7, arrogant, peu scrupuleux et habile à ralentir le trajet en ralentissant aux feux et en refusant de prendre les bandes réservées aux transports en commun (« on les prend seulement quand on veut ») nous a déposé face au numéro 171 où commence le parcours, non sans avoir inutilement baladé dans le giratoire de la Place d’Italie. Les chauffeurs de taxi sont un peu comme les auteurs de blogs, ils aiment à prendre leur temps avant de nous vous amener au but. Cet attrait pour les feux rouges irrite, mais a un avantage : il permet parfois de saisir les petites scènes pittoresques qui font mes délices.










Nous n’avons pas tout vu, et nous n’aimons pas tout. Il y a là divers styles pour divers goûts. Ma fresque préférée est certainement Etreinte et lutte de Conor Harrington, laquelle, je ne sais pourquoi, me fait penser à un film de Visconti où se mêlent fraternité et combat passionnel. Rocco et ses frères ? Le Gamin de Paris de Seth, réparti sur trois façades, est une habile réalisation 3D, mais je préfère ses gamins de la Butte-aux-Cailles.
Le parcours est une curiosité, cependant, si je dois vous dire le fond de ma pensée, cette institutionnalisation du street art dans ces immenses réalisations, dont je ne nie pas la pertinence décorative dans un ensemble urbanistique tristounet, ne présente pas pour moi le même intérêt que les oeuvres sauvages et éphémères, souvent anonymes, que l’on découvre au hasard de ses errances dans les villes. Il y a en d’ailleurs quelques unes, ici et-là, Boulevard Vincent-Auriol, sur les murs du métro aérien.


Nous quittons le Boulevard pour rejoindre Mathieu du côté du métro Olympiade. En chemin nous croisons le lapin d’Alice, Jean-Sébastien Bach et quelques vieux notables parisiens.



Nous attendons Mathieu dans le Square du Dr Navarre. Un couple africain est assis sur un muret. Ils viennent de passer au MacDo du coin et mangent tranquillement, en papotant. Ils sourient lorsque nous nous asseyons, comme eux, sur un muret, plutôt que sur un banc couvert de guano. Je les observe en fumant un petit cubain. Je les trouve dignes dans leur festin de pauvres gens. Ils ont l’air serein, heureux d’être là, entre ombre et soleil. Ont-ils entendu l’unique clic sonore de mon Canon, posé sur mes genoux ? Je ne sais. Je les salue. J’aimerais qu’un jour ils trouvent cette photo, comme un souvenir de ce moment commun.

Mathieu est ponctuel, comme toujours. Nous descendons la rue de Tolbiac, jusqu’au pont. Elle offre un mélange intéressant de vestiges industriels anciens et de vues sur le Paris post-moderne. Les entrepôts frigorifiques servaient de lieu de transit pour les viandes que les bouchers devaient acheminer aux Halles Baltard. Evidemment, depuis que celles-ci sont fermées, le bâtiment a perdu sa fonction. Il a été très vite squatté par des ateliers d’artistes, réunis dans une association Les Frigos. Je ne sais si celle-ci est toujours active. Sur leur site, les liens ne s’ouvrent pas. Sur les murs, quelques oeuvres fânées relèvent de l’archéologie du street art local.



Sur la droite de la Rue de Tolbiac, on aperçoit au loin les Tours Duo, dessinées par Jean Nouvel. La n°1 sera la troisième plus haute construction de Paris, après la Tour Eiffel et la Tour Montparnasse. Déboîtées, elles penchent, s’inclinent parait-il pour mieux regarder l’Avenue de France, cette longue voie qui passe sous la Bibliothèque François Mitterrand et qui est devenue, depuis une dizaine d’années un des lieux les plus jeunes de Paris. Le projet, qui devra être terminé fin de cette année, est aussi disputé que la Maire de Paris, Anne Hidalgo, qui l’a sélectionné alors qu’elle était l’adjointe de Bertrand Delanoë. Il faudra que j’aille le voir de plus près, mais, de loin, il ne me déplaît pas : Paris s’étend dans sa folie et sa démesure.


Nous passons sur le Pont de Bercy. A quartier niou louque, amants niou louque sur les quais. De l’autre côté du pont, l’impressionnante file de bétonneuses des Cimenteries Lafarge, le Parc de Bercy et la Cour Saint-Emilion. Ces anciens entrepôts de négociants en vins sont occupés par des commerces divers dont les enseignes défigurent l’harmonie de l’ensemble. Comme l’indique Google Street, il y a plus de monde que d’habitude. C’est samedi, les Parisiens qui ne sont pas partis profitent du dernier samedi de vacances.





A la Gare de Lyon, ceux qui avaient fui vers le Midi il y a trois semaines refluent en traînant leurs valises. Trop de file pour atteindre un taxi. Nous en trouvons finalement un Rue de Lyon. Le chauffeur a du style, vient fermer la porte après que je sois monté. « Mesdames et Messieurs, soyez les bienvenus dans ce véhicule ». Une politesse qui se fait rare.
Feuilletez l’album complet de la promenade ici
P.S. 27 avril. Marie Christian Bambelle, qui vient de publier avec Cyrille Benhamou un livre que je vais me procurer sans tarder (Les murs du confinement: Street art et Covid-19, Omniscience, novembre 2000) et dont je compte bien vous parler, m’aide à identifier quelques artistes er m’envoie le commentaire suivant : « Les Frigos sont toujours actifs et pleins d’ateliers d’artistes, une journée porte ouverte chaque année, Sur leur façade vieillit lentement plusieurs peintures de Larry (Dominique Larrivaz), mort en 2017, dont « Vach’foll » que vous avez photographiée. Plus bas, les boîtes à feu ont été peintes par Moyoshi. Dans votre album, il y a une Angela Davis de Rue meurt d’Art (Jean-Marc Paumier) qui côtoie un lézard de Louyz (Louise Delarue, petite fille de Fabio Rieti et muraliste professionnelle avec sa mère Leonor Rieti). »
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