Après vingt ans de fréquentation, voyager avec le métro moscovite reste une aventure. L’autre jour, je croyais qu’il me serait possible de joindre d’un seul saut Smolenskaïa et Barrikadnaya. Mais non, je dois faire un détour vers Kievskaya, puis je me perds dans Arbatskaya, avec le 8ème quatuor de Chostakovitch dans les écouteurs. Au haut d’un escalator, un marron, venu je ne sais d’où, me roule dans les pieds. Il se met à dévaler les marches en sautant, je le suis. J’hésite entre un quai et l’autre. Elle vient vers moi, souriante, a compris mon embarras. Son haut bonnet de laine bleu clair a la même couleur que ses yeux. Elle porte un sac de toile noire, avec, en grandes lettres blanches, les noms des musiciens. Bach, Haendel, les autres aussi, que je n’ai pas le temps d’enregistrer. Sur mon plan Cartoville, je lui indique ma destination. Elle sourit, me fait signe de la suivre. Dans la rame, je la regarde de profil. Elle se tient très droite, avec noblesse, comme une lectrice d’Anna Karenine, étrangère. A la station Krasnopressenskaya, elle descend, me fait un nouveau sourire, je la suis dans le large couloir jaune. Elle me montre la sortie Barrikadnaya, petit signe de la main, prend la direction opposée, disparaît dans la foule aussi magiquement qu’elle était apparue. Le métro de Moscou est le seul au monde où des marrons vous roulent dans les pieds et où des fées vous guident dans les labyrinthes.
Moscou, 3 décembre 2014.