« La tierra y la sombra » de Cesar Acevedo – Caméra d’Or Cannes 2015.

la tierra y la sombraCannes continue à Paris. C’est à présent la Cinémathèque qui, dans la belle salle Henri Langlois, diffuse les films de la Semaine de la Critique, la sélection de défrichage des jeunes talents. Hier soir, projection de La tierra y la sombra du colombien Cesar Acevedo. Le film a obtenu la Caméra d’Or, prix cannois qui récompense le meilleur premier film, toutes sélections confondues, mais aussi le Prix de la SACD et le Prix Révélation France 4.

Le synopsis dévoile une histoire assez simple : « Alfonso est un vieux paysan qui revient au pays pour se porter au chevet de son fils malade. Il retrouve son ancienne maison, où vivent encore celle qui fut sa femme, sa belle-fille et son petit-fils. Il découvre un paysage apocalyptique. Le foyer est cerné par d’immenses plantations de cannes à sucre dont l’exploitation provoque une pluie de cendres continue. 17 ans après avoir abandonné les siens, Alfonso va tenter de retrouver sa place et de sauver sa famille. » Les amateurs de récits mouvementés et complexes seront déçus. L’histoire ici, même mêlée à une évocation sociale de la solidarité des peones coupeurs de cannes à sucre, reste assez ténue et ne fait pas l’intérêt du film. La beauté de celui-ci réside dans la qualité des images, du cadrage et de la photographie.

Le premier plan relève de ce cinéma de la lenteur dont je parlais hier à propos du Tràs os Montes d’Antonio Reis et Margarida Cordeiro : une route de terre, entourée de deux plantations de cannes à sucre ; un homme apparaît au loin, descendant la route ; il est suivi par un lourd camion qui dégage un nuage de poussière ; l’homme se met sur le côté de la route, enlève son chapeau pour protéger son visage ; le camion passe ; la poussière envahi l’écran, se dissipe ; l’homme reprend son chemin, avance vers nous, sort du champ. Parcours inverse de ce père quittant sa fille à dos d’âne dans le film de Reis et Cordeiro. Durée probablement identique, vers les deux minutes. Vous voilà averti que vous êtes dans un film fort, où ce qui prime est la volonté d’écriture.

Autre beau plan, en travelling. Le grand-père, sous un arbre de pluie, apprend à son petit-films à reconnaître et à imiter le chant des oiseaux. Travelling de gauche à droite. Le grand-père avance, suivi de son petit-fils. Celui-ci trainasse, sort du champ. Le grand père continue à s’avancer. La caméra le suit, se fixe. Le petit mulâtre rentre dans le champ. Dit comme cela, cela paraît très simple. A l’écran, c’est simplement beau.

Superbe plan séquence. Le grand-père est assis dans un bar et évoque son chagrin en chantant une chanson d’amour amer. Il se lève, se déplace vers la droite, la caméra le suit. Il sort, traverse la route et se perd dans la plantation de cannes. Un chien traverse la route. Simple, poignant.

La pluie de cendres, née du brûlage d’après récole, quasi permanente sur la petite propriété où se déroule le drame familiale, est comme une métaphore du destin de misère. Le père va d’ailleurs mourir d’une maladie des poumons que l’on imagine résultante de ce trop plein de cendres et de poussières. Il a travaillé lui-même à la destruction des fermes nécessaire à l’extension des plantations.

Beauté des gros plans sur les visages, aussi, qui disent la douleur et la désarroi. Hiératismes.

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Je n’en dit pas plus, pour ne pas trop dévoiler l’issue de l’histoire, même si celle-ci est secondaire. Le film a divisé la critique. Frank Nouchi, dans Le Monde est enthousiaste :    « Disons-le tout net : ce film est admirable« .  Aurélien Allien, dans Cinéma Teaser  est nettement plus sévère : « Bien que porté par de pures intentions, LA TIERRA Y LA SOMBRA peine à transmettre l’urgence de la situation connue par les protagonistes et les émotions bouleversantes qui les assaillent. La faute à un traitement rigoriste comme on en a si souvent vu dans un certain type de « films cannois ». Mise en scène parfois inutilement minimaliste, dialogues ânonnés par des personnages apathiques sur un ton monocorde, manque de maîtrise du rythme… LA TIERRA Y LA SOMBRA tombe dans un certain académisme du film auteurisant, s’appesantit lourdement sur chaque plan, sur chaque idée, étire artificiellement son récit et la longueur des scènes, refuse toute énergie et s’épuise dans sa roideur. Si bien qu’au final, le spectateur ne peut réagir pleinement aux vingt dernières minutes, dans lesquelles la tragédie se fait pleinement jour. Aussi révoltante soit-elle, elle ne parvient jamais à émouvoir vraiment, tant LA TIERRA Y LA SOMBRA a auparavant engourdit son public en confondant rigueur et aridité. »

Passons sur le concept mesquin de « film de festivals » qu’utilise une certaine critique pour dénier le droit à l’existence de films artistiques, poétiques, dont l’ambition n’est pas de faire du chiffre, de conquérir des marchés, mais d’explorer la capacité de produire de la beauté, de transformer les formes. Soulignons chez ce critique, le refus du cinéma de la lenteur. L’affirmation de la lenteur est toujours, quarante ans après les premiers films de Chantal Akerman, Antonio Reis, Jean-Marie Straub et d’autres, une forme de réaction, aujourd’hui universelle, contre la dictature de l’action qu’impose le code des blockbusters hollywoodiens. En attendant le début de la projection, je lisais ces propos de Tsai Ming-Liang, dans un dialogue avec Jia Zhang-Ke : « L’autre jour, j’ai rencontré deux jeunes Chinoises qui avaient vu mes films, Vive l’amour et Les Rebelles du dieu néon dans les années 1990. Elles n’étaient pas convaincues : « Ce n’est pas possible que ce soit si lent! ». En les regardant de nouveau un plus de dix ans après, elles ne les ont plus trouvés si lents, parce qu’aujourd’hui tout est rapide, et que cette lenteur mérite d’être préservée« .

A la sortie, je salue le producteur du film, Thierry Lenouvel, avec qui j’avais eu le plaisir, en octobre 1990, d’organiser à Montpellier un colloque sur l’économie du cinéma dans le bassin méditerranéen. Sa boîte de production Cine Sud Promotion contribue à l’émergence de ce jeune cinéma colombien, tellement prometteur. Vielles complicités qui se déplacent dans le temps et l’espace.

Dehors, sur la pelouse du Parc Bercy, un combo joue une cumbia mélancolique. Délices de la nuit parisienne.

Paris, 5 juin 2015.

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