Sur les murs du restaurant « Ô Mal Aimé » (Stavelot, juillet 2009) Photo André Lange-Médart
Je retrouve dans mes vieilles photos un petit reportage, datant de juillet 2009, fait à Stavelot. Dominique et Gérard nous avaient emmenés visiter le Musée Guillaume Apollinaire et nous avions terminé la soirée en faisant bombance dans le charmant restaurant « Ô Mal Aimé », sis dans l’ancien hôtel que le poète quitta « à l’anglaise », à la fin de la nuit du 5 octobre 1899. Des extraits de poèmes ont été peints sur les murs, avec de petits dessins évocateurs, dont une femme libellule, qui tient un peu de la fée clochette. Tout cela me permet de m’aviser aujourd’hui qu’il y a bel et bien des libellules dans la poésie d’Apollinaire. Ainsi dans ce poème à Lou, Pétales de pivoine :
Pétales de pivoine
Trois pétales de pivoine Rouges comme une pivoine Et ces pétales me font rêver Ces pétales ce sont Trois belles petites dames À peau soyeuse et qui rougissent De honte D’être avec des petits soldats Elles se promènent dans les bois Et causent avec les sansonnets Qui leur font cent sonnets Elles montent en aéroplane Sur de belles libellules électriques Dont les élytres chatoient au soleil Et les libellules qui sont De petites diablesses Font l’amour avec les pivoines
C’est un joli amour contre nature Entre demoiselles et dames Trois pétales dans la lettre Trois pétales de pivoine.
Quand je fais pour toi mes poèmes quotidiens et variés Lou je sais bien pourquoi je suis ici À regarder fleurir l’obus à regarder venir la torpille aérienne À écouter gauler les noix des véhémentes mitrailleuses Je chante ici pour que tu chantes pour que tu danses Pour que tu joues avec l’amour Pour que tes mains fleurissent comme des roses Et tes jambes comme des lys Pour que ton sommeil soit doux
* Aujourd’hui Lou je ne t’offre en bouquet poétique Que les tristes fleurs d’acier Que l’on désigne par leur mesure en millimètres (Où le système métrique va-t-il se nicher) On l’applique à la mort qui elle ne danse plus Mais survit attentive au fond des hypogées
Mais trois pétales de pivoine Sont venus comme de belles dames En robe de satin grenat Marquise Quelle robe exquise Comtesse Les belles fesses Baronne Écoutez la Mort qui ronronne Trois pétales de pivoine Me sont venus de Paris
(Dans une lettre à Lou du 22 mai 1915).
Le thème Apollinaire à Stavelot me remémore inévitablement le jour où Jean-Jacques Messian m’emmena voir une représentation de La Bréhatine, mise en scène par le regretté Michel Damblon pour le Théâtre universitaire de Liège. Le phare de Paimpol était transformé en un resplendissant phallus, fidèle à l’esprit du poète. C’est la que je fis la connaissance de François Duysinx, lui aussi regretté, stavelotain et lutin devant l’éternel, comédien d’un humour tendre et drôle, humain comme un poème de Guillaume. Il m’informa de l’existence à Stavelot d’une « Société des amis de Guillaume Apollinaire a.s.b.l. » C’est à ce moment là aussi que je tombai inutilement amoureux d’une belle libellule, mais ceci est une autre histoire, qui ne vous regarde pas.
Dessin de Guillaume Apollinaire conservé au Musée Apollinaire de Stavelot. Photo André Lange-Médart
J’ai dans ma bibliothèque un petit ouvrage de Maurice Piron (qui fut un de mes professeurs et que j’interviewai pour Liège-Université à propos de son Anthologie de la littérature wallonne) : Guillaume Apollinaire et l’Ardenne, Jacques Antoine, Bruxelles, 1975. Les circonstances du séjour dans les Ardennes des deux frères William et Albert de Kostrowiski, planqués dans une auberge de Stavelot par l’amant de leur mère, pendant que celle-ci tentait la fortune au casino de Spa, y sont décrites avec de multiples détails. De même la liaison amoureuse qu’Apollinaire entretient avec Marie Dubois (à laquelle j’apprends qu’une exposition vient d’être consacrée, sous le titre « Une muse d’Apollinaire à Stavelot« ) Piron analyse également le « Cahier de Stavelot » qu’il put consulter pendant quelques heures dans l »appartement de la veuve de l’écrivain, au 202 Boulevard Saint-Germain et qui figure aujourd’hui dans les collections de la BnF. Vient ensuite une analyse des wallonismes d’Apollinaire, qui mêlait connaissance orale du wallon de Malmedy et connaissance textuelle du wallon liégeois. Le plus célèbre de ce wallonisme est le terme « maclotte » (forme wallonne pour désigner la danse, importée de France au XVIIIème siècle, la matelote), qui se trouve dans « Marie », un des poèmes bien connus d’Alcools. Il ne m’est point besoin de le transcrire ici, puisqu’il est si bien chanté par Léo Ferré.
L’ouvrage de Piron se termine par une postface du poète Marcel Thiry racontant comment, par hasard, fut découverte l’histoire de la fuite des deux frères Kostrowiski de l’auberge Constant-Lekeux.
Le délit de grivèlerie n’a été introduit en droit belge qu’en 1936 et les deux frères et leur mère devaient bénéficier d’une ordonnance de non-lieu rendue par le Tribunal de Verviers, le 18 janvier 1900. La ville de Stavelot n’est pas rancunière. Il est amusant que la ville ait au contraire décidé d’honorer la mémoire du passage du futur poète par la création d’un joli petit musée, ce que Saint-Germain des Prés n’a pas été fichu de faire. On y trouvera des objets qui lui furent confiés par la veuve du poète, Jacqueline Apollinaire (dont un cendrier réalisé par le poète dans un fragment d’obus et un exemplaire du journal Li p’ti Ligeoes qu’il avait conservé) ainsi que de belles gravures de Pierre Alechinsky évoquant la saison ardennaise du jeune homme.
Cendrier réalisé par Apollinaire avec un fragment d’obus. Don de Jacqueline Apollinaire au Musée Apollinaire de Stavelot. Photo André Lange-Médart
Depuis que j’ai appris que mes ancêtres Lange furent établis, entre le XVIème et le XVIIIème siècle, dans le village de Horion-Hozémont, enclave de la Principauté de Stavelot au sein de la Principauté de Liège, et que l’existence du plus ancien des individus du nom de Lange, Pirchon Lange, est attestée en 1373 à Stavelot, je suis partisan, en cas de dissolution de la Belgique, de la restauration de la Principauté de Stavelot (sous une forme laïque, républicaine et poétique, bien entendu) dont le gouvernement pourrait être établi dans l’Abbaye, juste à côté du Musée Apollinaire. Et la devise de ce nouvel Etat pourrait reprendre les vers de « La jolie rousse », gravés dans le bloc de granit honorant le poète, à Bernister, sur les hauteurs de Malmedy :
« Soyez indulgents quand vous nous comparez
A ceux qui furent la perfection de l’ordre
Nous qui quêtons partout l’aventure »
Paris, 7 août 2015
Voyez ici le reportage photo sur le Musée Apollinaire et sur le Restaurant O Mal Aimé. Vous trouverez ici un autre petit reportage sur Stavelot.