Le bouquiniste et la demoiselle de la mort
J’ai sous les yeux le tiré à part d’un article de Roger Pinon, « La libellule dans le folklore et les dialectes de Wallonie », publié en 1955, quelques mois après ma naissance. J’ai trouvé cette publication dans la bibliothèque de mon grand-père, qui était plus riche en manuels de pédagogie qu’en travaux d’ethnologie. Elle m’a toujours intrigué. L’auteur y passe en revue les termes wallons désignant la libellule, avec de multiples variantes locales. Les dérivés du « demoiselle » français, rendant hommage à la grâce efféminée de l’insecte, sont nombreux « d'(i)mwèzèle », « dumwèzèle », « dumwazèle » et autres « dam’zèle ». A Seraing, les enfants l’appelle aussi la « lèdjîre », la légère. Si quelques poètes wallons ont évoqué le caractère soyeux des ailes de la libellule, celles-ci est surtout affublées de nombreuses observations négatives, comparées à des couteaux tranchants. « On a aussi été frappé par la tête de l’insecte : on en a remarqué la grosseur et la forme (d’où les dénominations « marteau », « marteau d’arme ») et comme dans son vol rapide et brusque, la libellule heurte souvent les humains, puis oblique, revient avec prestesse pour se détourner ensuite, on la dénomme « cognoir », « frappe-au-front » et « entre-en-le-front », car on croit qu’elle vise surtout le front« . Lorsqu’une libellule vous frappe au front, c’est de mauvaise augure, vous risquez la mort, dans les vingt-quatre heures. A Ougrée, ma banlieue natale, ce « moulin des vingt-quatre heures » est aussi appelé « scôrpion ».
« Alfarrabiste » est un terme qui n’existe pas dans la langue française, mais que je propose à celle-ci d’accueillir généreusement. Au Portugal, un alfarrabiste est, suivant les cas, un bouquiniste ou un antiquaire spécialisé dans le livre ancien. Le terme est d’origine arabe et il est généralement admis qu’il fait référence au philosophe turc Al-Fârâbî (Abû Nasr Muhammad ibn Muhammad ibn Tarkhân ibn Uzalagh al-Fârâbî également connu en Occident sous les noms de Alpharabius, Al-Farabi, Farabi, Abunaser ou Alfarabi), né au Kazakhstan en 872 et mort à Damas en 950. Maïmonide l’appelait le « Second maître », le premier ne pouvant être qu’Aristote, dont il fut un des premiers à redécouvrir la pensée. Je ne dispose malheureusement pas de références scientifiques sur les origines sémantiques du terme « alfarrabista ». Les explications sont diverses : selon les uns, les livres d’Al-Fârâbi se transmettaient entre les générations successives d’étudiants et devenaient ainsi de vieux livres ; selon d’autres les écrits d’Al-Fârâbî étaient tellement sulfureux qu’ils étaient à brûler, et donc sans valeur ; selon d’autres encore le philosophe étant soudainement passé de mode, ses livres s’accumulèrent dans les stocks des libraires, qui ne savaient qu’en faire.
Il sera question ici de livres, vieux ou non, et de libellules, de demoiselles, et, bien entendu, de la mort, par laquelle nous venons à la vie.
Paris, 8 mai 2015.
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