Nuno Vieira de Almeida et Vitor Moura sur la Salomé de Richard Strauss

16 juin 2021

Ma petite chronique sur la vie culturelle lisboète en ce printemps 2021 ne serait pas complète si je n’évoquais le cycle de conférences Guias de Audição sur quelques oeuvres musicales majeures donné par notre ami Nuno Vieira de Almeida, pianiste et Vitor Moura, professeur d’esthétique à l’Université du Minho.

Vitor Moura et Nuno Vieira de Almeida (Photographie André Lange-Médart)

Je crois bien que je connais Nuno depuis mon premier séjour à Lisbonne, en 1991. Nous le voyons régulièrement, à chacun de nos séjours ici. C’était, au début des années 90, un jeune dandy, très fier d’avoir posé pour un magazine culturel local où étaient détaillés les marques à la mode de ses souliers, de sa chemise, de sa veste, de son pantalon et sa lecture favorite, La recherche du temps perdu. Il était aussi très fier d’avoir enregistré la bande sonore de Vale Abraão, un des films majeurs de Manoel de Oliveira, film dans lequel il tenait également un petit rôle, ainsi que d’être un familier d’Amalia Rodriguez. Il faisait rire Mina avec des blagues un peu salaces, auxquelles je ne comprenais rien mais qu’elle me traduisait en pouffant.

Nuno Vieira de Almeida (Photographie André Lange-Médart)

Depuis ces premières rencontres, Nuno a muri et ses réalisations musicales se sont multipliées avec brio. Après avoir obtenu son diplôme du Conservatoire de Lisbonne, il est allé à Vienne, grâce à une bourse de la Fondation Gulbenkian, pour étudier avec Leonid Brumberg et plus tard à Londres pour étudier avec Geoffrey Parsons. Il a travaillé comme pianiste de Lied, avec de grands chanteurs tels que Gundula Janowitz, Peter Weber ou Gabriele Fontana. Il a donné de nombreuses premières auditions au Portugal d’œuvres de compositeurs tels que Schönberg, Webern, Wolf, Von Einen, Sckreker, Korngold, Weil, Bernstein, Britten. Il a également donné des premières d’œuvres de compositeurs portugais tels que Joly Braga Santos, João Madureira, Carlos Caires, Constança Capdeville, Paulo Brandão. Il a travaillé avec toutes les grandes chanteuses portugaises, notamment Elsa Saque ou Elisabete Matos. Il a écrit une thèse de doctorat en musicologie consacrée aux Lieder de Schubert et enseigne le répertoire à l’Ecole Supérieure de Musique de Lisbonne.

Nuno a également contribué, en tant qu’accompagnateur, à une bonne dizaine de disques, dont il est souvent le concepteur, et qui permettent de découvrir un répertoire peu connu, celui de la mélodie portugaise. Les mélodies de compositeurs tels que Luis de Freitas Branco, José Vienna da Motta, Joly Braga Santos ont fait l’objet de disques anthologiques, mais la réalisation dont Nuno est le plus fier est certainement le disque Songs and Folk Songs de Fernando Lopes-Graça (1906-1994), le principal compositeur portugais du XXe siècle, trouvant, comme Bela Bartok, sa matière dans le répertoire populaire. Nuno, qui n’a rien d’un militant politique, explique que l’oeuvre de Lopes-Graça a souvent été sous-estimée par le seul fait qu’à l’époque de la dictature le compositeur était proche du Parti communiste. Dans ce disque, Nuno accompagne la soprano Susana Gaspar, la mezzo soprano Catia Moreso et le ténor Fernando Guimarães. Il vient encore de publier, avec le jeune bariton Ricardo Panela, Berlin im Licht, un choix des chansons du Songbook de Kurt Weil et la sortie un deuxième disque de mélodies de Lopes-Graça, avec Susana Gaspar et Ricardo Panela, est imminente.

Nuno adore partager sa passion pour les oeuvres et les interprétations qu’il aime. Son canon d’interprétation reste celui d’Herbert von Karajan et mieux vaut, si vous ne voulez pas affronter ses critiques cinglantes, ne pas lui parler de Jordi Savall. C’est un garçon très tolérant, mais il a ses choix et ses sarcasmes. Depuis quelques semaines, au Centre Culturel de Belem, il présente avec Vitor Moura, sous forme de conférences avec illustrations musicales enregistrées, quelques oeuvres majeures dans l’interprétation qu’il préfère. Pas de vidéos – l’image distrait trop de la musique à son avis – mais la diffusion de larges extraits commentés.

Ce mercredi, nous allons l’écouter dans l’analyse de la Salomé de Richard Strauss, dans l’enregistrement de Karajan avec Hildegard Behrens dans le rôle titre.

« Richard Strauss n’a pas besoin de ′′ défenseurs « , explique Nuno. Son statut de grand génie est depuis longtemps garanti. Cependant, il est toujours bon de le faire connaître et de se rappeler que Salome est l’un des plus grands chefs-d’œuvre jamais rencontrés. Nous avons tenu à ne pas mettre une seule image scénique des opéras que nous avons commentés parce que nous pensons que la Valkyrie et Salome ont autant de valeur musicale qu’un autre chef-d’œuvre non écrit pour la scène. Il en est de même pour les différentes versions musicales, ce petit cycle est sur les œuvres et les interprétations sont, disons, marginales pour ce que nous voulons démontrer. Cependant, dans ce cas, il faut faire une exception pour l’incomparable Salome de Hildegard Behrens avec Herbert von Karajan. Je ne peux pas croire que pendant le temps qu’il me reste à vivre, je puisse essayer auditivement quelque chose d’aussi sublime que cette version de Salome.« 

Je dois bien l’avouer, je n’ai jamais été très sensible à la musique de Richard Strauss, dont la machinerie orchestrale est trop parfaite, et trop écrasante à mon goût. Mais dans les chants d’Elektra et de Salome, quelques moments isolés m’émeuvent. Le portugais des deux conférenciers est trop subtil pour que je goûte complètement leurs analyses et leurs bons mots. Je comprends bien qu’il s’agit de situer Strauss par rapport à Wagner et Salome par rapport à la pièce d’Oscar Wilde dont l’opéra est une adaptation, de décortiquer la mise en musique de la tension progressive. Moura cite Maeterlinck et Adorno, mais je manque les traits d’esprit, toujours cinglants, de Nuno. Faute de pouvoir suivre avec toute l’attention requise, je prends des photos. Les désaccords amicaux entre les deux conférenciers sur telle ou telle question, qui rendent le dialogue d’autant plus intéressant, ont leur petite dramaturgie. L’un brandit ses lunettes retournées comme argument d’autorité, l’autre dresse son stylo pour une mise au point.

En écoutant Vieira et Moura, loin des trompettes de Richard Strauss, je me disais qu’il y a aurait place sur France-Musique, et sur d’autres radios francophones dédiées à la musique, pour un cycle d’émissions, à la fois érudites et passionnées sur l’histoire de la vie musicale au Portugal, l’équivalent de la fabuleuse série de Marcel Quillévéré, Carrefour des Amériques consacrée à Cuba, à l’Argentine, au Mexique. L’héritage musical du Portugal ne peut se réduire qu’au seul fado, à Amalia, à José Afonso et à Maria Joao Pires. Les compositeurs, les interprètes, les musicologues, les programmateurs de concerts et de festivals, sont ici très actifs et l’édition phonographique, alors même qu’elle rencontre des problèmes assez similaires à ceux de l’édition en Belgique avec un héritage et des interprètes souvent méconnus, permet de faire des découvertes bien intéressantes.

En attendant, laissons le chant de la fin à Hildegard Behrens.

Richard Strauss, Scène finale de Salomé (Herbert von Krajan / Hildegard Behrens)

Feuilletez l’album photo de la conférence ici.

1 commentaire

  1. Je ne doute pas que ce monsieur dont j’ai oublié le nom, ait des qualités diverses. Je le sens théatral, jeux de mains, peu modeste. Mon impression n’a aucun sens, je le reconnais. Je suis ici en terrain privé.
    Et en plus il y a Richard S et ses trompettes et Karajan, c’est trop pour moi .
    Ha ha, avec mon amitié, cher André.
    Je note par contre quelques noms d’artistes.

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