19 mai 2021
« Une terrasse au sortir des souterrains. Ah ! Je respire enfin ! » chante Pelléas.
Voici la date tant attendue : les Français et les Françaises peuvent à nouveau consommer en terrasse, acheter des fringues et des parfums, rester sur la voie publique jusqu’à 21 heures. En termes techniques, cela s’appelle la deuxième phase du troisième déconfinement. Vers 9 heures 30 du matin, le Président de la République tweetait une vidéo où on le voit prendre le petit déjeuner, en terrasse, avec le Premier Ministre. D’autres Ministres ont suivit l’exemple. A 9 h.43, le Professeur Christian Delporte, Président de la Société française pour l’Histoire des Médias, tweetait : « 9 h 43. Je n’en peux déjà plus des photos de #terrasses… ».
Pour essayer de dérider le Professeur chagrin, je lui envoie la photo que j’ai prise à 9 h.45 à la terrasse de La Place Verte, Rue d’Oberkampf. Il n’y avait pas encore grand monde. Je me suis assis un peu hasard et j’ai constaté qu’en face de moi, un autocollant proclamait « J’existe ». C’est donc cela : « Je terrasse, donc j’existe ! ». Aragon le disait autrement « La vie, c’est changer de café ».


Je me disais que j’allais passer la journée à photographier cette reprise de la vie parisienne, mais il pleut. Je prends quelques photos, mais beaucoup de terrasses sont encore désertes. Le SDF qui loge sous le porche de l’ancien garage Citroën a trouvé deux petites chaises, un tabouret et une petite table. Il a sa terrasse à lui. Il faudrait écrire une philosophie de l’ameublement des SDF. Je rentre à la maison, remplir ma déclaration de revenus. Il faut bien revenir à la réalité des choses.

Aujourd’hui, c’est aussi réouverture des musées. Une quinzaine d’expositions ouvrent leurs portes et l’on n’a que l’embarras du choix : « Picasso et Rodin », « Signac. Les harmonies colorées », « L’invention du surréalisme », « Peintres femmes, 1780-1830. Naissance d’un combat », « Magritte en pleins soleil : sa période Renoir », « Modernités suisses », « Napoléon » (j’ai déjà donné),..; En début d’après-midi, nous nous décidons pour « L’Empire des sens. Le goût du XVIIIe » au Musée Cognacq-Jay, rue Elzévir, dans le Marais. Des Greuze, des Boucher, mais aussi des Fragonard sont annoncés. Il pleut, nous hélons un taxi. Rue des Francs Bourgeois, deux gendarmes se promènent à cheval, ralentissant un trafic déjà encombré. Elles prennent leur temps, le compteur tourne. « C’est la France, le goût du pouvoir », ironise le chauffeur, un jeune arabe à la voix fluette.

Pas de chance ! Pour entrer dans les musées, à présent, il faut réserver son horaire de visite, acheter les billets en ligne, comme pour aller à l’opéra ou au théâtre. Il n’est pas possible de voir l’exposition aujourd’hui.

Nous nous contenterons donc des oeuvres de street art et des photographies de terrasses.



Avec l’ouverture des magasins de fripes, le Marais a retrouvé son effervescence. Rue de la Verrerie, jes jeunes font la queue devant Free’p’Star et Kilo Shop, des boutiques où l’on vent les vêtements au poids.



Nous remontons ma chère Rue Quincampoix. Je n’avais pas encore remarque l’enseigne du Hellfest Corner, le lieu de rendez-vous de fans de Heavy Metal. Ils sont là, attablés, et cela complète la tonalité noire de la rue.


Le Bossu de Féval est de retour lui aussi. Nous le trouvons Rue Saint-Martin, face au Centre Georges Pompidou. ll vitupère à haute voix.

Le MK2 Beaubourg a rouvert ses portes lui aussi. Il va falloir que je retrouve l’habitude de regarder les programmations.


Christian Delporte a encore tweeté dans la journée : « Grand bond en avant du reportage français : nous sommes passés aujourd’hui du micro-trottoir au micro-terrasse. C’est toujours du reportage de fainéant, mais plus en phase avec le monde contemporain ». Il a sans doute raison; je n’ai pas regardé la télévision aujourd’hui. Pas plus que les autres jours. Mais je sais, c’est bête à dire, banal et sans grand intérêt, mais voir la jeunesse parisienne de retour, cela me fait vraiment plaisir. Comme le temps a fraichi, je retrouve la buée sur mes lunetttes, la nécessité de les lever sur mes cheveux et de marcher dans le flou. Je photographie à la sauvette et je découvre les jolies filles au développement.


Nous remontons la Rue Saint-Martin vers le Nord. Je n’avais jamais remarqué le Palais dit de l’Avenir du Prolétariat, au n°235, où sont établis les ateliers de Jean-Paul Gaultier. Couturiers de tous les pays, unissez-vous! Je ne sais trop quelle est l’histoire de ce palais? Hillairet ne le mentionne pas.


Même la rue Notre-Dame-de-Nazareth, que j’avais trouvée assez quelconque l’autre jour s’est animée. Des galeries d’art contemporain y ont repris leurs expositions. Je laisserais à Jacques Charlier le soin de commenter l’intérêt des oeuvres.

Rue du temple, grand déploiement de forces de police. Est-ce pour vérifier le respect des règles de distanciation en terrasse ou prévenir les saouleries des fêtards Place de la République ? Non, une manifestation en faveur de la Palestine est en préparation.


Plus la journée avance, plus il apparaît que le respect des normes de distanciation en terrasse est loin d’être respecté. Un tenancier de café est embarrassé lorsqu’il me voit prendre une photo de sa terrasse, tente de s’interposer. Il me demande si je suis journaliste, si je peux faire la publicité de sa terrasse. Autre tweet de Christian Delporte : « Dernière minute – Tout café disposant d’une #terrasse qui n’aurait reçu aujourd’hui ni radio ni télévision sera administrativement fermé ce soir. » A celui-là, je lui explique que non, je ne suis pas journaliste, que j’ai un blog qui n’a aucune audience. Je ne citerai pas le nom de l’établissement. Ni publicité, ni délation.
Nous voudrions malgré tout trouver une terrasse pour dîner, qui ne soit pas trop surpeuplée. Nous faisons le tour de notre quartier, autour du Square Maurice Gardette. Tout est occupé, plus d’ailleurs par des buveurs que par des dineurs. Finalement, nous trouvons une place dans une petite pizzeria artisanale, rue Saint-Maur. Nous déplions nous-même la table et la portons vers le banc. Deux dames travaillent d’arrache-pied. Aux clients qui arrivent après-nous, elles déclinent les commandes : « Ce n’est plus possible, nous avons été dévalisées ».


Tout cela, c’est l’esprit des rues. Mais Christian Delporte a raison d’ironiser. Pendant que la France respire enfin en terrasse, il se dit des choses insensées dans le monde politique. Un leader de la droite souverainiste française, qui publie des essais xénophobes qui ont un succès fou, se vante de s’être soigné de la covid-19 au pastis. Les syndicats de policiers organisent une manifestation critiquant le laxisme de la justice. Le Ministre de l’Intérieur et le Préfet de Paris les rejoignent, se font huer. Toutes les figures de l’extrême-droite sont-là aussi, se font l’accolade, sans maques. Pire, le Secrétaire général du Parti socialiste apporte son soutien en glissant, de manière assez maladroite, que la police devrait avoir un droit de regard sur les procédures de la Justice ! Je n’aime pas trop commenter la politique française, surtout ce qui relève des « fonctions régaliennes » de l’Etat. Je comprends la colère des policiers, qui ont vu ces derniers mois plusieurs de leurs collègues tomber victimes de terroristes ou de forcenés, d’autres se suicider. Mais la séparation des pouvoirs est une règle sacrée de la démocratie, il ne convient guère que des Ministres participent à des manifestations organisées par les syndicats de leur administration – verra-t-on le Ministre de l’Education apporter son soutien aux manifestations des enseignants ?, demande pertinemment Christian Delporte – et les violences policières de ces derniers mois ont été trop souvent niées par le pouvoir.
Mais qu’on se rassure. le jour de boire est arrivé et, comme nous l’avons constaté en remontant la rue Saint-Hubert, la jeune génération est prête à prendre les armes pour défendre la République.


La troisième vague est-elle terminée ? Dois-je interrompre cette chronique ? En attendant, la nuit est tombée; je réécoute les Préludes de Debussy par Alexander Melnikov. « La terrasse des audiences de clair de lune ».
Feuilletez l’album complet de la promenade ici.
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