Dans les récits de ma promenade Rue de Quincampoix et dans celle de la Rue de Richelieu, qui avaient eu lieu le même jour, je ne vous ai pas expliqué que, pour passer de l’une à l’autre, j’avais emprunté la Rue Saint-Honoré et fait poussé jusqu’à l’église Saint-Roch avant de revenir vers la Comédie française et l’Hôtel Montpensier. Je ne vous ai pas expliqué non plus pourquoi il m’importait tant d’identifier l’hôtel où, avec mes parents et mon frère, nous avions passé les fêtes de fin d’année en 1968. Comme cette chronique va bientôt se terminer et qu’il pleut sur Paris, il est temps que je vous explique cela avec une promenade dans le temps de ma mémoire, pour rendre un hommage tardif à mon vieil ami Jean-Pierre Hautier.
Je suis revenu à l’Hôtel Montpensier, Rue de Richelieu, lors de mon troisième séjour à Paris, en 1969. J’avais quatorze ans, et j’étais cette fois accompagné de Jean-Pierre, qui était mon meilleur ami à l’époque. Cela n’avait rien d’une fugue à la Rimbaud.
Le nom de Jean-Pierre Hautier ne dira probablement rien aux lecteurs qui n’ont pas été des auditeurs et téléspectateurs de la RTBF dans les années 1980-2010. Je suppose par contre que beaucoup d’auditeurs wallons et bruxellois se souviennent de la voix « chaude et complice ; érudite et proche ; amicale et assurée », telle que décrite dans Télé-Moustique, de celui qui fut un journaliste et animateur populaire sur la chaîne radio Première dont il devint directeur et sur la première chaîne de télévision de la RTBF. Parmi les titres de gloire de Jean-Pierre figurent la présentation de 18 Concours Eurovision de la Chanson, la conception du tube planétaire « What’s Your Name » du groupe Zinno qu’il avait créé avec Frédéric Jannin à partir des bandes sonores des films de James Bond, mais aussi des interviews, entre autres, de Umberto Eco, Juliette Gréco et Cecilia Bartoli. Jean-Pierre est décédé le 12 octobre 2012, à l’âge de 56 ans, d’un cancer de la thyroïde.
Nous étions ensemble, dans les années 60, à l’école primaire du Rivage, à Kinkempois (Angleur), dans la banlieue liégeoise. Je crois bien que c’est lui qui nous a fait découvrir Bob Morane, qui a décidé qu’il incarnerait Bill Balantine, que jacques Rosenfeld serait l’Ombre Jaune, Didier Hause le Professeur Clairembart et moi le Commandant. Jean-Pierre venait d’un autre monde que le mien. Le père de Jean-Pierre était employé à la compagnie locale d’électricité, était un ancien résistant, abonné à la Libre Belgique. Il avait conservé, exposés dans la salle à manger de leur maison, un fusil et des grenades. Après ma première visite au 35, rue Renkin, j’eu la mauvaise idée de raconter cela à mon père, tranquille enseignant de biologie et pacifiste convaincu. Il me fut interdit de retourner chez ce condisciple. J’eu soin de ne pas respecter cette interdiction et je crois bien que c’est mon seul mensonge d’enfant : je déclarais aller jouer chez l’ami Didier, qui habitait juste à côté de chez Jean-Pierre, au bout de la rue du Chêne. La maman de Jean-Pierre était d’une grande gentillesse et me signalait toujours quand il était temps de rentrer au 4, rue de Renory.

Jean-Pierre ne termina pas ses études primaires à Kinkempois. Pour je ne sais quelle raison, en 1965 ou 1966, ses parents avaient déménagé sur les hauteurs de Fléron, à l’autre bout de la ville. C’eût été un ami perdu à jamais si n’était survenu un accident qui faillit coûter la vie à mon Jean-Pierre. Je me souviens encore de notre instituteur de 6ème année, Monsieur Wuidar, qui était également le directeur de l’école, nous annonçant avec gravité que Jean-Pierre avait failli mourir asphyxié au gaz dans la salle de bain, suite à une panne du chauffe-eau. Il nous invita à écrire un petit mot de solidarité et je fus chargé de la rédaction. Rétrospectivement, je me demande si la panne du chauffe-eau au gaz ne masquait pas en fait une tentative de suicide. Jean-Pierre, sous ses côtés grande gueule et débonnaire, était un garçon sensible : il me raconta un jour combien il avait été marqué par l’histoire d’un de ses cousins qui, petit garçon, s’était pendu avec sa ceinture accrochée à une clenche de porte.
A partir de ce moment, nous sommes devenus grands amis. Le mercredi après-midi, nous passions deux à trois heures au téléphone. Je m’installais royalement dans le fauteuil en velours vert du bureau de mon grand-père, de sortie pour aller jouer aux cartes. Je fus pendant quelques années l’auditeur privilégié de Jempi. Il me dit un jour que son rêve était de devenir le nouveau Jean Nohain. Il dû m’expliquer qui était ce grand nom de la radio et pionnier de la télévision française. Je crois que je puis dire que c’est avec moi qu’il a fait ses classes, appris à captiver son public. J’étais fasciné par son bagout. Il me faisait découvrir la « culture de masse », dont mes parents avaient tenu à me préserver autant que possible. Dans ma famille d’enseignants sérieux et socialistes, on ne parlait des Beatles qu’avec mépris et les Stones n’existaient même pas. La télévision n’arriva chez mes grands-parents qu’en 1964 et chez nous à la fin des années 60. Elle était cachée à l’intérieur d’un meuble de style espagnol à cuarterones, dont les portes étaient rarement ouvertes. Jean-Pierre, lui, était au courant de tout ce qui émergeait et m’en parlait avec cet enthousiasme de découvreur-révélateur qui allait faire son succès trente ans plus tard.
Mon père avait-il oublié l’interdit du fusil et des grenades ou ferma-t-il les yeux, je ne sais. Je fus autorisé à aller rendre visite à Jean-Pierre lorsque le Tour de France passa près de chez lui. J’y suis allé plusieurs fois par la suite. C’était à chaque coup une excursion, qui impliquait un ou deux changements de bus. Mon père venait me rechercher en voiture.

Mai 68 était passé sans que je m’en sois rendu compte. Je me souviens qu’on parlait de « contestataires » et de la vague des cols Mao, mais je n’avais à l’époque, aucun intérêt pour l’actualité politique. Jean-Pierre non plus. Nous parlions d’histoire. Il était passionné par les « Belles Histoires de l’Oncle Paul », qui paraissaient dans Spirou, et par les récits des pilotes de la R.A.F., moi par les Rois maudits, dans l’édition en six volumes sous couverture de toile verte de la Guilde du Livre, et par la généalogie des Capétiens. Dumas et Hugo commençaient à susciter mon intérêt pour le XIXe siècle parisien. C’est Jean-Pierre qui me fit découvrir, en avril 1969, le Journal de la France depuis 1789, un hebdomadaire, qui, au fil des semaines, racontait la Révolution française, puis l’Empire, puis la Restauration, puis la Monarchie constitutionnelle, puis le Second Empire. C’était plus attrayant que l’Encyclopédie Alpha ou que l’Histoire universelle des Editions Marabout, en douze volumes. J’avais plaisir à y retrouver le monde découvert au Musée Carnavalet, visité quelques mois plus tôt avec mes parents et dans la lecture de Quatrevingt-treize et de L’Aiglon. Je connaissais quasi par coeur la pièce d’Edmond Rostand, m’étant fait offrir le double disque de l’enregistrement avec Pierre Vaneck dans le rôle titre. L’iconographie du Journal de la France était soignée et mêlait reproduction de documents d’époque et photographies contemporaines des lieux d’action, ce qui contribua à mon goût de la « vérification ». Jean-Pierre avait lui un certain goût macabre pour la violence révolutionnaire et je me souviens l’avoir réprimandé, début juillet 1969 pour avoir épinglé au mur de sa chambre la couverture du N°11, paru le 24 juin : c’était celle de la livraison sur la Terreur, un guillotine incrustée sur un fond de ciel d’un orange qui évoquait plus des flots de sang qu’un tranquille coucher de soleil.

Mais la grande passion de Jean-Pierre, c’était Napoléon Ier. Sa famille était originaire de Fayt-lez-Manage, dans la banlieue de La Louvière. Les gens du Hainaut, ancien département de Jemappes, ont conservé un culte de l’Empereur plus marqué que ceux de Liège, où la mémoire collective est plutôt marquée par le tableau d’Ingres représentant le Premier Consul posant devant la Cathédrale Saint-Lambert dont il aurait promis la reconstruction. Jean-Pierre lisait les mémoires du Caporal Coignet et je le vois encore me montrant avec fierté les deux volumes du Mémorial de Sainte-Hélène dans l’édition Pléiade qu’il venait de recevoir en cadeau d’anniversaire.
L’année 1969 fut celle de la célébration du bicentenaire de la naissance de l’Empereur. Cette commémoration fut, me semble-t-il, sans commune mesure avec celle du bicentenaire de sa mort, que la France célèbre cette année avec moins de visibilité que le 150ème anniversaire de la Commune. Quelques mois après les événements de mai, la commémoration arrivait à point pour restaurer une image glorieuse de la France sous pouvoir autoritaire. Total avait lancé une collection de 14 pièces dans je ne sais quel alliage bon marché célébrant les moments principaux de l’histoire du héro national. J’appris à cuisiner le boeuf Marengo. De juin à décembre, une gigantesque exposition fut organisée au Grand Palais. Nous voulions la voir et nous sommes arrivés à convaincre nos parents d’y aller, seuls, à la Toussaint. Ce fut notre voyage héroïque.
Je ne louerai jamais assez le libéralisme et la confiance de nos parents respectifs, qui autorisèrent deux gamins de quatorze ans à partir seuls dans la grande ville. Les arguments étaient simples et efficaces : l’exposition ne durait que quelques mois et les calendriers de vacances des parents ne concordaient pas ; je savais me débrouiller dans le métro et une chambre à l’Hôtel Montpensier n’était pas chère. Et c’est ainsi que je revins Rue de Richelieu. Je nous y revois encore : le matin nous nous faisons apporter le petit déjeuner dans la chambre (c’était une idée de Jean-Pierre, mes parents n’auraient jamais fait cela), tout en réclamant notre exemplaire du « Petit Figaro« , curieux lapsus que je commis, mélangeant le Petit Parisien de Paul Féval et le quotidien de Jean Prouvost, ce pourquoi Jean-Pierre me taquina souvent par la suite. Il nous arriva de passer devant une boîte de strip tease. Je fis un geste amusé, que Jean-Pierre interpréta comme une marque de je ne sais quelle pudibonderie peureuse. Je lui en voulu de cette méprise pour laquelle il me railla à plusieurs reprises. A 20 heures, nous devions téléphoner à Liège pour confirmer que nous étions bien rentrés à l’hôtel.




En trois jours, nous avions voulu tout voir : l’exposition au Grand Palais, bien sûr, mais aussi les Invalides (« J’ai envie de pleurer » me dit Jean-Pierre devant le sarcophage en quartzite de Chokcha), les arcs de triomphe, les N entourés d’une couronne de lauriers sur les piliers des ponts, les tableaux de David, Gros et de Meissonnier, la statue du Maréchal Ney devant la Closerie des Lilas. Je crois bien que notre première étape fut sur le perron de l’Eglise Saint-Roch, à 450 mètres de l’hôtel. C’est là que le jeune Bonaparte se fit connaître le 13 vendémiaire de l’an IV (5 octobre 1795) en réprimant l’insurrection royaliste à coups de canon, pendant trois quarts d’heure. Trois cent morts. Le mur porte encore les traces des trous laissés par la mitraille. Nous trouvâmes aussi le temps de monter Place du Tertre. Jean-Pierre trouvait que les tailleurs de silhouettes étaient de grands artistes, meilleurs que ceux dont nous avions vu les toiles au Louvre et à l’Orangerie. Je lui fis part de mon désaccord sur ce point. Je le convainquis néanmoins, non sans peine, d’aller à Montparnasse voir l’exposition des masques de Beethoven par Bourdelle.


C’est à l’enregistrement de L’Aiglon que je dois la découverte de quelques mouvements des symphonies de Beethoven, habilement utilises en illustrations sonores. C’est à Beethoven, dont on célébra l’année suivante le bicentenaire de la naissance, que je dois de m’être libéré du culte impérial. La célèbre anecdote de la dédicace supprimée à la Symphonie héroïque et de l’insertion de la Marche funèbre me fit réfléchir à l’incompatibilité entre les deux passions. J’arrivai à me faire offrir par la disquaire du magasin Etincel, Passage Lemonnier, la grande affiche que la Deutsche Grammophon avait éditée, pour promouvoir son intégrale, avec le célèbre portrait du compositeur par Joseph Carl Stieler et elle remplaça sur le mur de ma chambre la reproduction du Napoléon Bonaparte sur le Pont d’Arcole par Antoine-Jean Gros.
Mon oncle Jules aussi, instituteur, qui avait été prisonnier en Allemagne, m’avait fait réfléchir en comparant Napoléon à Hitler. Même si j’y identifiais quelques citations tronquées, la lecture du Napoléon tel quel d’Henri Guillemin apporta un contrepoids utile aux quatre volumes, reliure de toile verte avec emblèmes dorés, de l’édition Guilde du Livre de la biographie du personnage par André Casteloot. Et finalement la vision des scènes ensanglantées du Waterloo de Sergei Bondarchuk m’écartèrent définitivement du culte que Jean-Pierre continua à pratiquer.
Depuis, je ne me suis plus guère intéressé à l’historiographie de Napoléon. Je bien lu le Napoléon de Stendhal (le seul auteur qui, par ses peintures de la réaction royaliste, m’a vraiment aidé à comprendre l’enthousiasme prolongé pour le héros de Marengo) et, en portugais, celui de Teixeira de Pascoaes (dont je retiens l’idée que les collines du Minho répètent toujours en écho les cris désespérés des soldats de Junot en déroute). Je préfère les romans tels que La mort de Napoléon de Simon Leys, jolie fable sur la dérision du pouvoir, mais mon préféré reste le roman de Gonzalo Torrente Ballester, L’île des jacinthes coupées : Bonaparte n’est qu’une invention ourdie, lors d’un repas sur l’Ile de la Gorgone, qui réunit Metternich, Chateaubriand, l’Amiral Nelson et Lady Hamilton, pour mobiliser l’Europe contre la France révolutionnaire. Mobiliser l’Europe contre le mythe d’un despote créé de toue pièce sera plus facile que de la mobiliser contre une nation ou une idée. Je note que ce spectre est tellement efficace que les fascistes français d’aujourd’hui l’utilisent toujours pour essayer de subvertir l’état de droit et la République. Heureusement, l’attachement de Jean-Pierre à Napoléon relevait, je pense, plus d’une sorte de sentimentalisme historique que de ce type de conviction idéologique.

Nos désaccords socio-esthétiques commencèrent lors de ce voyage à Paris et allaient s’amplifier avec le temps. Jean-Pierre aimait les James Bond, je préférais les premier Costa-Gavras, Z et L’Aveu. Je ne jurais que par Beethoven, il me parlait de Tommy, l’opéra-rock des Who. Je découvrais Aragon à travers Ferrat et Ferré, il me chantonnait la « Fernande » de Georges Brassens. Je lisais Balzac, la Chronique des Pasquier, les Thibault, Jean-Christophe, il lisait les best-sellers du moment. Un jour, je me fâchai lorsqu’il affirma « Ce qui est beau, c’est ce qui a du succès ». Plus à l’écoute de la radio et de la télévision que moi, il avait toujours une longueur d’avance dans la connaissance des nouveautés, des réalités de la vie, aussi. Un été, il remplaça une de ses parentes qui tenait un kiosque à journaux et me décrivit en termes crus sa découverte de la pornographie hardcore.
Dans nos conversations téléphoniques, nous discutions souvent de notre opposition sur la culture classique et la culture de masse. Je dois reconnaître que, même sur ce sujet, il en savait plus que moi. Il fit ses études secondaires à l’Athénée Saucy, en plein centre de Liège, alors que j’étais à l’Athénée de Seraing, établissement sérieux de banlieue, à l’orée d’un bois paisible. Il me parlait de ses professeurs Joseph Bya et Jean-Marie Piemme, que j’ai eu le plaisir de fréquenter quelques années plus tard, et qui étaient à l’époque à Liège deux des plus brillantes têtes pensantes du marxisme culturel. C’est probablement par leur intermédiaire qu’il me fit découvrir Jules Vallès, les revues Cinéma 71 et L’Avant-scène cinéma ou encore Eiseinstein. Un jour il m’annonça qu’il était en train de préparer un remake d’une scène du Cuirassier Potemkin (je ne l’avais pas encore vu à l’époque) dans l’escalier de la Montagne de Bueren. Il me proposa de tenir le rôle d’un vieux. Il était venu me voir, accompagné de sa copine d’alors, une jolie rousse à l’air pas très commode, interpréter le Comte de Salisbury, « vieux lion chenu » dans la La guerre des deux roses de Shakespeare, adaptée et mise en scène par Matthieu Falla. Je déclinai cette proposition hasardeuse, ne voulant pas m’installer dans le rôle des vieillards enrobés de sagesse. Mais Jean-Pierre était un grand coeur : en 1971, pour mes seize ans, il me fit parvenir deux 45 tours de Jean Ferrat, avec notamment « La Commune » et le sensuel « Je vous aime ». Il avait de l’humour aussi. Quand je l’informai que j’allais écrire un roman (je n’en ai jamais écrit la première page), il me demanda : « Tu l’écriras au stylo ou à la machine ? » et il m’envoya un dossier du Figaro sur les jeunes talents prometteurs. Je me souviens qu’il y était question de Patrick Modiano, depuis Prix Nobel, et de François-Marie Bannier, plus connu aujourd’hui pour son abus de faiblesse au détriment de Liliane de Bettencourt.
Nous nous sommes progressivement perdus de vue. Il partit faire des études à l’Institut des hautes études des communications sociales de Tournai alors que je me fourvoyais dans des études de philologie romane. Notre dernière communication téléphonique date de 1974. Il m’avait parlé avec enthousiasme de la beauté des paysages dans l’Emmanuelle de Just Jaeckin. Je m’étais moqué de lui en disant que c’était assez hypocrite d’aller voir ce film en prenant les paysages pour prétexte, sans lui avouer, plus hypocritement encore, que j’avais lu plusieurs fois le roman dans son édition originale, trouvée en second rayon dans la bibliothèque des mes parents.

Je ne l’ai revu qu’une fois, en 1984 ou 1985, à la cafétaria de la RTBF, Boulevard Reyers, alors que j’étais passé faire des recherches dans les archives de la Maison Kafka pour la préparation de mes Stratégies de la musique. Il m’avait parlé de la House Music, une « musique qui fait grimper les gens au plafond », et de son projet Zinno. Cela ne m’émut point. A l’époque, j’explorais les oeuvres de la seconde Ecole de Vienne et, ce jour-là, l’étais tout heureux d’avoir découvert un petit texte de Maeterlinck sur le disque de gramophone « qui permettait de faire tenir une symphonie de Beethoven dans les mains d’un enfant ». Nous vivions dans des mondes différents : j’étais en train de devenir un expert des médias et lui un homme des médias. Comme j’ai progressivement quitté la Belgique à partir de 1986 et définitivement à partir de 1989, je n’ai pas assisté à l’essor de sa gloire radiophonique et télévisuelle auprès du public belge. Je découvre aujourd’hui dans l’article du Wikipedia anglais qui lui est consacré que mon petit Jean Nohain a même été interviewé par la BBC à propos de ses twelve Eurosong Contests. Une de mes premières publications, dans les Cahiers d’études de la RTBF, en 1980, avait été un article critique sur l’Eurovision. En 2010, il a publié un livre, La folie de l’Eurovision : les meilleurs anecdotes. Nos deux carrières respectives ont été le miroir de nos dissensions d’adolescents, assumées avec radicalité de part et d’autre.


Nous nous sommes retrouvés sur Facebook en 2010. Nous avons échangé quelques messages. Il m’a envoyé sa photo avec Cecilia. Je lui ai envoyé quelques photos prises à Ajaccio (mais pas celle de l’île de la Gorgone, prise depuis le Cap Corse) et un article du Monde sur le livre de Laure Murat consacré aux hommes qui se prennent pour Napoléon. Il m’avait répondu « J’ai fait son interview et ce qui est marrant c’est qu’elle est Princesse Murat descendante en droite ligne de Murat (et de Ney par son arrière grand-mère qui était Cécile Ney d’Elchingen arrière petite fille du Maréchal) mais bon on a surtout parlé du livre. » En avril 2021, je suis allé avec Mina en Ecosse, le pays de Bill Balantine, et, à Saint-Andrews, j’ai pris quelques photos des champs de golf et d’affiches, de statues célébrant les gloires de ce jeu, en me proposant de les lui envoyer. Je savais que c’était sa nouvelle passion, qu’il l’avait transmise à Robert Stéphane, alors administrateur général de la RTBF comme celui-ci me le raconta un jour dans l’ascenseur de la Résidence André Dumont. J’ai tardé à les lui envoyer. Il ne répondait plus à mes messages, je craignais de l’avoir froissé. Je ne savais pas qu’il était malade, qu’il allait mourir.
Voilà, mon vieux. J’ai tardé à écrire cet hommage contradictoire. Mais, dans ces promenades où je me réinvente Paris, ton souvenir a sa place.
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