17 mai 2021
Paris n’est plus Paris. Il n’y a plus de faits divers dans la presse parisienne. Si j’ouvre la page « Faits divers » du Parisien, je trouve des articles tels que « Manifestation pro-palestinienne à Paris : poursuites judiciaires pour six manifestants » ou « Lille : la justice saisie après une croix gammée sur une banderole anti-israélienne », qui ne sont pas des faits divers, mais des informations judiciaires ou politiques. « Amiens : un policier de 62 ans se suicide à son domicile » ; « Un policier se suicide avec son arme de service à Strasbourg », ou encore « Policier tué à Avignon : les syndicats appellent à un rassemblement devant l’Assemblée nationale mercredi », qui sont des informations sur des faits tragiques, mais qui ne sont pas des faits divers parisiens.


Ce que j’attends d’un journal de faits divers, c’est qu’il me donne des précisions sur les circonstances dans lesquelles l’autre jour, près de chez moi, une voiture de police a embouti et renversé un petit véhicule vert de la voirie ou encore si le chauffeur de la BMW retournée sur le toit samedi dernier Place Jean-Ferrat s’en est sorti indemne ou encore quelles sont les causes de l’incendie de motos qui a détourné ma promenade matinale ce matin de la rue des Quatre-Fils vers la Tour Jean sans Peur, Rue Etienne Marcel.




« C’est déjà terminé », dit une policière au téléphone. « Ah ! Paris ! » commente une passante.
J’aimerais aussi savoir quelle est la production en cours Quai-aux-Fleurs, avec une jolie demoiselle qui passe une carte devant l’écran d’une borne d’alimentation de voiture électrique. Je doute que cela soit pour illustrer la comptine d’Aragon ou « Richard II Quarante ». « Nous travaillons, il ne faut pas photographier » me dit un des membres de l’équipe. Je n’ai donc pas le droit de témoigner de la destruction des quais de Paris par le mobilier urbain ? « Adieu printemps du Quai-aux-Fleurs ». Je photographie les policiers, les pompiers, les cafetiers, les street artists au travail, pourquoi ne pourrais-je en faire de même avec les fils de pub, les publicistes lorsqu’ils travaillent en public ? Secret défense ?


Il n’y a plus de chiens écrasés. Il n’y a plus que des propriétaires bien éduqués de chiens mal éduqués, qui se penchent pour ramasser la crotte de leur chéri et la fourrer dans un petit sachet en plastique qui terminera peut-être sa carrière dans un bel océan. Moi, si j’avais l’occasion de photographier des chiens écrasés, je le photographierais. Je me dis qu’un chien écrasé, son sang sur le tarmac, ses tripes dévoilées, le visage défait de sa propriétaire, cela devrait être d’une beauté terrifiante, un peu comme cette installation Excavation of the Future d’Angelika Markul, artiste polonaise, élève de Christian Boltanski, que j’ai vue tout à l’heure dans la vitrine de la Galerie Saint-Séverin, face à l’Eglise du même nom (les dadaïstes y organisèrent une manifestation qui fut un bide complet).

Ce qui fait événement aujourd’hui à Paris, c’est la préparation des terrasses de restaurants et cafés, à deux jours de leur réouverture. Tables astiquées, chaises empilées, mais cette fois en extérieur, réserves de bouteilles d’eau renouvelées. Les terrasses, c’est l’esprit même de Paris. Les terroristes du 13 novembre 2015 ne s’y sont pas trompés, qui les ont ciblées de manière impitoyable. Tout le monde se demande si, le 19, il sera possible de trouver une place. Le groupe « Les Belges à Paris » organise une sortie à la terrasse d’une brasserie spécialisée en bières belges, avec réservation de tables. Certains craignent des échauffourées. Avec un à propos ironique, l’écrivaine Sarah Chiche a publié sur sa page Facebook, des dessins de Goya tout en modifiant la légende « no hay más espacio en la terraza » (il n’y a plus de place en terrasse), Les désastres de la guerre, 19 mai 2021.

Faute de chauves-souris, je photographie les corbeaux des Halles, Allée André Breton, et, faute de chiens écrasés, je photographie les travaux de préparation des terrasses.









Mais ce que j’aime surtout, ce sont les chaises, les accumulations de chaises, qui depuis des mois disent l’absence, et qui commencent à rentrer en scène. Je pense évidemment à la pièce d’Ionesco : « Le nombre de chaises apportées sur le plateau doit être important : une quarantaine au moins ; davantage si possible. Elles arrivent très vite, de plus en plus vite. Il y a accumulation. Le plateau est envahi par ces chaises, cette foule des absentes présentes ».






« LE VIEUX : Comment y arrivait-on, où est la route ? Ce lieu s’appelait, je crois, Paris…
LA VIEILLE : Cette ville a existé, puisqu’elle s’est effondrée…C’était la ville de lumière, puisqu’elle s’est éteinte, éteinte, depuis quatre cent mille ans…Il n’en reste plus rien aujourd’hui, sauf une chanson.
LA VIEIILE : Une vraie chanson ? C’est drôle. Quelle chanson ?
LE VIEUX : Une berceuse, une allégorie : Paris sera toujours Paris.
LA VIEILLE : On y allait par le jardin ? Etait-ce loin ?
LE VIEUX : rêve, perdu : La chanson ?…La pluie ? … »

Ah quel beau texte avec des photos qui collent parfaitement ! Le jour où les deux maniéres de communication ne seraient plus utiliées ensemble, il manquerait quelque chose. Tu en es arrivé à un genre bien personnel,.
Je suis bien perplexe concernant le droit de photographier. Tout devient difficile, méfiant, privé…signe des temps. Mais tu as un nouvel appareil plus petit…il te faudra encore plus d’habileté. Amitié/bravo bravo.
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