8 mai 2021 et alentours
L’Avenue de la République est mon ordinaire. Débuts et fins de promenades, à pied ou en taxi, petits déplacements ancillaires. Je prends des photos ici et là, les regroupe, brouille les pistes temporelles et d’itinéraire. L’humain, le pittoresque, le triste à pleurer ne manquent pas.




Percée à la fin du XIXe siècle, elle n’a rien de très littéraire. Hillairet lui consacre à peine vingt lignes dans son Dictionnaire. A l’origine, l’Avenue s’appelait l’avenue des Amandiers. Elle est devenue républicaine lorsque la Place du Château d’Eau, où elle prend sa source, est devenue la Place de la République.
Il y a quelques semaines, j’ai appris qu’Alain-Fournier, l’auteur du Grand Meaulnes a fait ses études au Lycée Voltaire, qui est au n°101. Ouvert en octobre 1890, il est orné d’un buste de Voltaire et d’un de Lavoisier. Bel équilibre entre Lettres et Sciences comme on pouvait l’imaginer à l’époque. Cette semaine, pour célébrer le 150ème anniversaire de la Commune, ont été suspendus en façade des portraits des femmes révolutionnaires, réalisés par les lycéens et lycéennes. « Pas de révolution sans les femmes ». C’est une belle idée, émouvante, qui montre que dans le quartier, le souvenir de la Commune est bien là, et qu’il est pris à coeur par l’école de la République. Des liens d’accrochage se sont brisés et les affiches flottent au vent qui s’est levé. Félicie Paul, militante, et sa voisine, non identifiée, ont envie de prendre le large.


Quelques minutes plus tard, au carrefour de la rue Saint-Maur, je croise la manifestation d’un dernier carré de Gilets jaunes. J’en reconnais quelques uns, vu lors de la manifestation du 1er mai. Leur référence, c’est plutôt 1789 que 1871. Leurs panneaux et leurs gilets sont fatigués. Ils n’ont pas l’air d’être très heureux que je les photographie, font le petit signe de la victoire mais détournent le regard. Celui qui porte un bonnet phrygien, dès qu’il aperçoit que je le photographie, relève son masque. Le calicot Banlieue jaune qui arbore le logo A de l’anarchie m’intrigue. Les couleurs habituelles de l’anarchie sont le noir et le rouge. Si l’on y ajoute le jaune, cela donne le drapeau belge, ce compromis historique. Quoi qu’il en soit, le questionnement sur les institutions continue. Même Europe 1 pose la question : « La Ve République est-elle un ancien régime ? ».


C’est le 8 mai. Les plaques commémorant les victimes de la Libération sont fleuries par la Mairie de Paris. Aujourd’hui, Place de la République, deux manifestations l’une à côté de l’autre. Les Colombiens sont quasi plus nombreux que les Gilets jaunes de la Rue Saint-Maur. Les syndicats, les mouvements sociaux, les universitaires, sont mobilisés contre la politique du Président de droite, Ivan Duque. La répression est féroce. Selon le dernier bilan officiel, les violences qui ont marqué les manifestations initiées le 28 avril ont fait au moins 27 morts et des centaines de blessés. Les Colombiennes ont de beaux grands yeux tristes et sévères.


Juste à côté, des Africains dansent en cercle avec des drapeaux jaune, rouge et vert que je n’identifie pas. Je dois admettre que je ne suis pas très versé dans les questions africaines. Rentré à la maison, le goulu Google m’apporte la réponse. « PAKO Président », c’était le Guy Brice Parfait Kolelas, candidat de Union des démocrates humanistes aux élections présidentielles du Congo-Brazzaville. Diagnostique contaminé au covid-19, le 19 mars. Le 21 mars, jour du vote, il a été évacué vers la France pour y être soigné, mais son décès a été constaté dans l’avion, avant l’arrivée au Bourget. Malgré l’autopsie par l’Institut médico-légal de Paris, l’opposition et une grande partie de la population du pays croit qu’il a été empoisonné par le régime.

Au fond de la place, à côté de ces deux manifestations tragiques, des couples dansent. Je ne les photographie pas, mais le lendemain ils sont toujours là. Le spectacle est moins fascinant que ceux que j’avais photographie dans les rues de Buenos Aires, la joie n’est pas encore vraiment là, toutes les consignes de distanciation ne sont pas vraiment respectées mais on sent comme un espoir de revivre.

C’est le 10 mai, jour de célébration de l’abolition l’esclavage en France. J’ai une pensée pour les livreurs africains, que je les vois souvent réunis, les uns avec une moto, les autres avec un vélo, à l’angle de la rue Pierre-Levée, le soir. Les esclaves du capitalisme de pandémie, ce sont eux. Les entreprises qui ont recours à eux vérifient-elles qu’ils ont leurs papiers ? Les clients, la police, n’en parlons pas. Eux travaillent d’arrache-pied, prennent des risques pour assurer leur productivité, espèrent qu’un jour ils seront intégrés.

Tout cela est assez triste.
Heureusement, Place de la République, passent aussi les passantes. Pas de République sans les passantes.

Feuilletez l’album complet ici.
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