Mercredi 31 mars, c’est l’été. Les Parisiens en profitent car, ce soir, le Président va jeter un nouveau froid.

Nous décidons nous aussi de reprendre notre pratique estivale : s’asseoir au Palais Royal pour y lire tranquillement. D’habitude, avec Mina, nous prenons le métro jusqu’à la station Bourse et descendons la rue Vivienne. Mais, depuis des mois, nous évitons le métro. Nous prenons un taxi. Pour la street photography, cela présente quelques avantages : moins de fatigue, angles nouveaux, et, surtout, position discrète qui permet mieux de happer la vie au passage. Le chauffeur est un peu escroc et nous emmène par les grands boulevards.


Au Palais Royal, trop de monde. Impossible de jouer à la chaise musicale comme dans « It Must Be Heaven », le dernier film d’Elia Suleiman.

Nous tentons le coin Maillol du jardin des Tuileries, c’est encore pire : un vrai cluster.

Troisième tentative, le jardin des Halles. Je vous en parlais il y a quinze jours à peine. Il y faisait froid et désert. A présent, il déborde de jeunesse et d’absence d’ombre.



Allons vers le Sentier, il y fera frais et tranquille. Rue Montmartre, nous pouvons constater que la vente de foie gras et de caviar fait bien partie des commerces essentiels.


La rue Montorgueil reste animée, malgré les terrasses fermées. Le masque ras de cou y est à la mode, plus qu’ailleurs.


Rue des Petits Carreaux, l’enseigne du magasin « Au planteur », qui date de 1890 et témoigne de l’époque colonialiste et raciste de la France de la IIIème République a été maculée de deux grandes tâches noires. Elle a été classée monument historique en 1894. ,Elle est régulièrement critiquée. Devrait-elle disparaître ? Je ne suis pas partisan de la woke culture. Faut-il détruire Versailles parce que le château symbolise la monarchie absolue ?

la Librairie Petite Egypte, une de mes préférées à Paris, est fermée pour cause d’inventaire. Inventaire, inventaire ? Alexis Argyroglo, le patron imaginatif, prend le frais assis sur un banc, en devanture, avec ses copains. Au coin de la Rue d’Aboukir, enfin un muret avec un peu de fraîcheur et d’ombre. Et un public plus intéressant à observer. Passe la chevelure de Cyrille Gouyette, qui m’emprunta la photo de Mademoiselle Rivière pour son « Sous le Street Art, le Louvre ». Le temps de fumer un petit cubain et il repasse une seconde fois, accompagné d’une dame vêtue de vives couleurs.



Le Sentier, avec ses commerces de grossistes en fringues, aux enseignes pauvres, reste paisible et encore riche de ses archaïsmes urbains. Beaucoup d’espaces à louer. Les affaires vont mal. A gauche, la Porte Saint-Denis, toujours « belle et inutile » comme disait André Breton. Rue Blondel, des prostituées d’une autre époque s’inquiètent de voir mon appareil photographique. « S’il vous plaît, c’est interdit de photographier les filles » me dit celle qui tient l’entrée de la rue. Je n’en avais pas l’intention. Un autre encore : « L’appareil n’a pas de capuche ». « Ne vous tracassez pas, on ne fait que passer, on vous respecte ». « Ah ! Merci, merci ».



Nous voici Rue Meslay. Elle commence à me devenir familière depuis que je l’ai découverte comme une alternative calme et pittoresque à l’ennuyeux Boulevard Saint-Martin, vrombissant de motos. La rue, un peu en pente, a été percée à la fin du XVIIe siècle sur l’emplacement de l’ancien chemin de ronde de la muraille Charles V. Quelques beaux immeubles Louis XV et Louis XVI. Georges Sand est supposée être née au numéro 46. Mais la rue à perdu de sa superbe. L’oeil de Mina, comme à l’habitude, est plus aiguisé que le mien et me fait découvrir des tas de petites choses auxquelles je n’étais pas attentif. On trouve versant ouest des magasins de mode africaine et versant est des magasins chinois, aux propositions un peu kitsch, et une librairie spécialisée en littérature de ce pays. Entre les deux, sur la droite, un clochard a installé son abondante bibliothèque à l’entrée du Passage du Pont aux Biches, sur laquelle il est étendu tel un Sardanapale de la mouise.

L’heure du couvre-feu approche. En attendant, c’est la « happy hour » sur l’avenue de la République. Les jeunes, sans masque et sans distance, boivent leur bière en papotant, assis à même le trottoir ou accoudés aux carcasses de bois des terrasses provisoires, installées l’été dernier. Ce soir, le Président, dans son discours, évoquera les troubles psychiques de la jeunesse et remerciera la population pour ses efforts.
Demain, j’écouterai « April in Paris ». Quelle est votre version préférée ?
Feuilletez l’album photo « L’été en mars » ici.
Suite : 6. Aujourd’hui, je vais à Liège
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