30 mars 2021
Mardi. Voici l’histoire d’un morceau de muraille qui vaut ses tours d’aiguille du podomètre. Dans ses 21 circuits sur les traces de la Commune, Josef Ulla évoque les derniers restes de la muraille de Monsieur Thiers, la fortification qui entourait Paris, quelque part du côté de la Porte de Charenton. Eric Hazan parle aussi de cette muraille dans son « Invention de Paris ». Je décide d’aller y voir. Cela me réserve quelques bonnes surprises.

Le reportage photographique commence par la rue Godefroi Cavaignac. Elle n’a guère d’intérêt : c’est là que je paye mes impôts et je me fiche un peu de ce Cavaignac. Le petit square tristounet, au mur noirci, a été rebaptisé à la mémoire d’Olga Bancic, une communiste juive roumaine qui fut membre du groupe FTP-MOI de Missak Manouchian, vous savez, ce groupe de l’Affiche rouge.
« Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent….
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan ».
Au bout de la rue, le restaurant La Belle Equipe. Ici, vingt personnes ont été tuées en terrasse le 13 novembre 2015. Le restaurant, qui a été rénové, est fermé, comme tous les autres. Sur le trottoir, les gens font la queue pour se faire astrazenecaniser dans la pharmacie d’à côté. En face, un colleur d’affiche colle « Ceci n’est pas un bonbon ».

Je fais un petit détour par la rue du Faubourg Saint-Antoine. L’autre jour, j’ai repéré chez Mona Lisait un bouquin en solde sur Robert Doisneau. Lionel me dit souvent, gentiment, que c’est mon maître, je n’en demande pas tant. Pas de chance, le magasin est fermé pour inventaire. « Ne vous inquiétez pas, me dit le libraire, nous avons plusieurs exemplaires en stock ». Chaleur d’été. Dans le casque Francesca Soleville chante.
« Il fait beau à n’y pas croire.
Il fait beau comme jamais
Quel temps quel temps sans mémoire
On ne sait plus comment voir
Ni se lever ni s’asseoir
Il fait beau comme jamais
C’est un temps contre nature
Comme le ciel des peintures
Comme l’oubli des tortures
Il fait beau comme jamais
Frais comme l’eau sous la rame
Un temps fort comme une femme
Un temps à damner son âme
Il fait beau comme jamais un temps à rire et courir
Un temps à ne pas mourir
Un temps à craindre le pire. »


La rue de Charenton est longue et sans grand intérêt. De beaux cerisiers japonais en fleurs Avenue Dugommier, comme à Tokyo. La rue de Charenton continue à droite de la Mairie du XIIème. La rue, désormais parallèle à la gare de Lyon, est longue et sans grand intérêt, encore. Heureusement, dans le casque, la Morelli a succédé à Francesca.
« C’est de ce Paris-là que j’ai fait mes poèmes
Mes mots sont la couleur étrange de ces toits
La gorge des pigeons y roucoule et chatoie
J’ai plus écrit de toi Paris que de moi-même
Et plus que de vieillir souffert d’être sans toi ».
Sur une tranche d’immeuble, un hommage inattendu à Rimbaud. Je marche. Il fait chaud. Odeurs de graisse de moteur en passant devant un garage à motos.
Me voici sur la ceinture des Maréchaux, à peu près le tracé de cette muraille de Monsieur Thiers. Vue imprenable sur les rails. Je marche le soleil dans l’oeil, il fait de plus en plus chaud. Aucune sympathie pour les Poniatowski, mais Atget est venu ici pour photographier les rails de la Gare de Lyon.


Finalement, dans une petite rue qui descend vers le périphérique, voici ce fameux morceau de muraille, dûment tagué. Tout ces pas pour voir cela, c’est un peu bête, non ?

Je pensais redescendre vers le Parc de Bercy, mais non, me voilà obligé de passer le Pont National; vue sur les cimenteries Lafarge et la Bibliothèque François Mitterrand. Heureusement, voici la découverte : un haut lieu du Street Art.








Texte ou photos ? Il faut choisir. Album photo ici : https://miroirmagique.viewbook.com/…/a-la-recherche-de…
Nous sommes à l’extrémité est du Paris nouveau, les zones un peu interlopes au-delà de l’Université Diderot. Magasin bio pour les étudiants qui ont bien besoin. La cantine du CROUS est fermée. Les rues et les places, ici, sentent bon la seconde moitié du XXè siècle : Elsa-Morante, Paul-Ricoeur, Marguerite-Duras,…Je fais une pause dans la cour du Campus Grands Moulins. Oui, je me souviens, il y avait ici une haute minoterie pour banlieue monotone. La cour est tranquille, une jeune mère africaine avec sa jolie petite, une étudiante qui embrasse son étudiant, deux chiens qui se disputent une balle. Petit cubain.



Je prends ensuite les quais du Port de la Gare, et remonte la Seine jusqu’au Pont d’Austerlitz. Jeunesse éparse qui prend le soleil au pied de la Très Grande Bibliothèque. Tiens, c’est ici que s’est installé le Groupe Madrigall. La rue Sébastien-Bottin, c’était plus classe. Mais ici, nous sommes dans l’aire du post-moderne. Quai Panhard, je rate ma photo des étudiants qui font la queue devant le Bubble Bae Coffee. Puis une allée Arthur Rimbaud. Rimbaud, encore, mais qu’est-ce qu’ils lui veulent donc ?


Des cyclistes, des joggers, des joggers et encore des joggers. En face, la masse de Bercy, le Ministère des finances, embarcadère pieds dans le fleuve et aire d’hélicoptère tournée vers le ciel. Un SDF a planté sa tente et regarde la forteresse. La Piscine Joséphine Baker a du chic, mais elle est réservée aux étudiants, aux athlètes professionnels et aux handicapés. Puis, voici des curiosités d’architecture du bois : de l’autre côté du fleuve, le Café Barge, fermé, sans bargeots, et, de côté-ci, l’Hôtel Austerlitz en style très finlandais.

Me voici au Pont d’Austerlitz. C’est l’heure du couvre-feu. Lumière de fin d’après-midi sur les façades lointaines et dorées de l’Ile Saint-Louis, c’est le Quai de Béthune, et plus loin encore Notre-Dame et sa grue de compagnie.



Quai de la Rapée, boulevard de la Bastille. Je suis épuisé, et vous aussi. Je sais que dans la station de métro, il reste un morceau de muraille, mais c’est une autre histoire. Devant l’Opéra, je prends un taxi. Une dernière photo du Café Milou, un clin d’oeil à mon cousin d’Amérique.
Feuilletez l’album de photographies de cette promenade ici.
Suite : 5. L’été en mars
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