25 mars 2021

La Friche est une librairie qui se trouve Rue Léon-Frot, dans le prolongement de la Rue Saint-Maur, à moins de mille pas de chez nous. L’ancien chemin qui allait de l’abbaye de Saint-Denis à celle de Saint-Maur. Je l’ai découverte le mois dernier en rendant visite à Marceline, une amie d’un demi-siècle. (Marceline est la petite fille de l’Inspecteur Maigret, mais c’est une autre histoire). J’y repasse aujourd’hui. (Léon Frot était un militant syndicaliste et communiste, élu municipal du XIème arrondissement, fusillé comme otage par les nazis, comme mon grand-père Médart, mais ce sont d’autres histoires). A la Friche, je suis venu chercher La fabrication du consentement de Noam Chomsky, que j’aurais dû lire il y a longtemps. Ils ne l’ont plus, je le trouverai un peu plus loin à la librairie Quilombo, une librairie anarchiste, que je ne connaissais pas. (Je m’enquiers de ce nom curieux, Quilombo, le libraire me l’explique gentiment, mais c’est encore une autre histoire). Et, à La Friche, voilà que je tombe sur ce livre de Thierry Roche, dont je connaissais pas l’existence : Jean-Pierre & Luc Dardenne / Seraing, avec des photographies terribles de Guy Jungblut, chez qui Patrick Leboutte me conduisit il y a longtemps, très longtemps. Je ne peux pas ne pas acheter ce livre. Je dis à la libraire, qui est très jolie, : « Je ne m’attendais pas à trouver ce livre ici. Je suis né là-bas ». Son masque m’empêche de voir ce qui a pu être un sourire. « Cela fait beaucoup de chemin », me dit-elle. Trop, peut-être.

25 mars 2021
Depuis des années, Rue Guillaume-Bertrand, un clochard vivait dans une petite cabane, à même le trottoir. Quand Mina lui donnait un fond de paquet de cigarette, il râlait si la marque ne lui plaisait pas. La cabane n’est plus là. De petites affiches indiquent qu’il était algérien. Il s’appelait Chérif.

26 mars 2021

Aujourd’hui chez Drouot pour la dispersion de la collection Albert Robida de Jean-Claude Viche. Je n’étais plus allé chez Drouot depuis la dispersion de la collection André Breton. C’est à Jean-Claude que je dois d’avoir publié quelques contributions sur le génial dessinateur. La dispersion d’un collection, réification des passions d’une vie, est bien plus triste qu’une dispersion de cendres. Les collectionneurs mordus me comprendront.
Le caractère lugubre vient en grande partie des enchères transmises par téléphone et via le live Internet que relaient cinq jeunes employés. Ces enchères emportent 95 % des lots. Dans la salle, une vingtaine de vrais amateurs, quelques uns membres de l’association des amis de l’artiste. Ils assistent impuissants à des joutes argentées qu’ils n’ont pas les moyens de contrer. Ils prennent des notes pour évaluer la valeur de leur propre collection. L’assistant du maître-priseur cherche, le plus souvent en vain, à stimuler les passions endormies de l’audience. Il a le ton du commentateur radio d’un match de football. Lugubre, en effet.
Une pensée pour Robert Desnos et Louise Lame.
26 mars 2021

En croisant sur les grands boulevards le mystère de tous ces visages masqués, je me disais tout à l’heure qu’un nouveau Lavater nous serait bien utile. Pour ceux et celles qui ne portent pas de masque, l’ancienne édition peut encore servir.


26 mars 2021
A Lionel Rombouts, passionné par les peintures des avant-gardes russes : « Il y a un petit Natalia Goncharova en vente aujourd’hui chez Drouot. Il est estimé à 200 000 euros. Si tu m’avances la moitié, nous pourrons le couper en deux. »
27 mars 2021
Petits désagréments des promenades numériques parisiennes en temps de confinement : la buée sur vos lunettes, toujours, malgré tous les trucs essayés ; la connexion Bluetooth qui lâche alors que vous écoutez « La folle » d’Aragon chantée par Morelli ; la librairie Fourcade, rue Beautreillis, où vous avez acheté quelques Larbaud liégeois, qui est fermée alors qu’elle aurait dû être ouverte ; le saignement de nez sur le Pont Saint-Louis ; l’élastique de votre masque qui claque après avoir fumé votre petit cubain dans le parc de l’Archevêché…
Allons, allons, ne sois pas si chagrin. Tu as de la chance. Paris est si belle. On y fais la queue sur les trottoirs pour se faire vacciner mais aussi pour acheter des beignets chez Bestie Bakery, rue des Bernardins ; la promenade Quai d’Anjou a son charme éternel et les amoureux amoureuses sont au rendez-vous ; tu pourras envoyer une photo du chantier de Notre-Dame à ton cousin d’Amérique ; saisir Ronsard devant un magnolia en fleurs ; piquer dans une librairie un marque-page Printemps des poètes, thème de l’année « Le Désir » ; descendre le Boul’ Mich’ en suivant une séduisante Espagnole ; repasser les ponts sous la brise; revoir la Tour Saint-Jacques et ses secrets. Te voilà Rue de Rivoli. Il se fait tard. L’heure du couvre-feu est déjà tombée, mais tout le monde s’en fiche. Rue Vieille du Temple, dans l’entre-chien-et-loup de la transgression, des groupes de jeunes sans masque festoient, bouteille à la main. Tu les contournes, agacé et pourtant jaloux. Rue Oberkampf, le marchand des quatre-saisons n’a pas encore rangé son étalage de fruits multicolores, éclatants sous l’éclairage. Tu es en retard, tu portes tes lunettes sur tes cheveux et tout est un peu flou, mais tu vois bien que dans ce restaurant des gens sont attablés et qu’il n’y a pas un seul Gardien de la Paix dans le quartier. Tu remontes l’Avenue et là-haut par delà les lignes noires des frondaisons, avant de rentrer dans ton cosy, tu admires la plus merveilleuse des pleines lunes.

27 mars 2021
Au mari de mon ex, qui découvre par son fils le mot boomer : « Si tu es né en 55, tu peux te définir comme end-boomer. A partir de là tu peux expliquer à la génération Z que tu es plus proche de la génération Y que de la génération W.
Sur Tweeter, c’est une insulte. Note que le baby boom commence dès 1945. Je connaissais les baby boomers. Puis j’ai réalisé que la jeune génération était encore plus paresseuse que la nôtre Ils ne doivent pas réaliser que nous avons été bébés. Un jeune facho trumpiste a essayé de me convaincre qu’étant un boomer je n’avais pas le droit d’être sur Twitter et que je devais rester sur Facebook avec les autres boomers. Boomer, c’est comme negro, faggot ou butch : un taggage de division. »
28 mars 2021
A deux pas du Faubourg Saint-Antoine, l’inattendu square Leo Ferré. Joli petit coin de verdure. Malheureusement, l’endroit est occupé par les dealers, des gamins racketteurs et les courants d’air.
J’ai vu Léo Ferré trois fois. La première fois, c’était au Conservatoire de Liège, en 1971, je crois. Je ne connaissais pratiquement rien de son oeuvre. Ferré chante Aragon, qui faisait partie de la petite collection des parents. J’avais réussi, avec mon frère, à interviewer Barbara (« Où sont-ils mes collégiens ? ») pour En Avant, le journal de l’Athénée de Seraing. Je m’étais dit, pourquoi pas Ferré. Projet vite abandonné lorsque j’ai réalisé que je connaissais pratiquement rien de son oeuvre. La Solitude est le dernier disque que m’a offert mon père avant sa mort. J’ai découvert Basta ! et c’était un gouffre terrible. Ferré me faisait peur. Un jour, en 1975, je l’ai croisé dans le quartier espagnol de Bordeaux, près de la Tour Saint-Michel. Il portait sa veste de cuir noir et était tel qu’on le voit sur la couverture de Loubards. Le trottoir était étroit. J’ai traversé la rue. Il me faisait toujours peur.
Plus tard, beaucoup plus tard, installé à Montpellier, j’ai réellement découvert son oeuvre. J’ai tout écouté, dans les diverses chronologies possibles. Puis je suis aller l’écouter à Béziers. Béziers ! Ce n’était pas loin de Montpellier, mais je n’y suis allé qu’une seule fois, sans visiter, seulement pour écouter Ferré. J’avais été alerté de son récital au dernier moment, par une affiche, sur la route et avais obtenu l’avant-dernier billet. J’avais dû gueuler. Le connard à la caisse du Grand Théâtre ne voulait pas me le vendre, sous prétexte qu’il allait se retrouver avec un dernier billet célibataire qu’il ne pourrait pas écouler. Je lui fis remarquer que Ferré chantait « La Solitude » et que j’avais bien le droit d’être seul. Finalement, j’étais assez bien placé. C’était en 1990 ou 1991. Ferré était vieux, se trompait parfois dans ses textes, mais il avait encore sa grinta. A la fin du concert, un jeu gars aux cheveux longs lui avait offert un bouquet de roses blanches. Je l’ai revu une dernière fois un an avant sa mort, il chantait en plein air à Sauve, un petit village de l’Hérault, sous les étoiles. Je n’étais plus seul.
Feuilletez l’album photographique des promenades de troisième vague ici.
28 mars 2021
Le nouveau site du Louvre vient d’ouvrir. L’ensemble des collections est accessible. C’est fabuleux. J’ai fait une recherche sur le seul terme « miroir » et cela donne 1004 résultats.
30 mars 2021
Ce matin, quelques mélodies de Glinka par Lina Mkrtchyan, et je suis ailleurs.

Suite : 3. Sortez les canons !
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