BRIBES. Au plur. Restes insignifiants, morceaux épars.
Il n’était plus seul à souffrir, il surprenait chaque jour des bribes de confidences, des lambeaux de conversation d’hommes, où éclatait l’aveu d’un tourment semblable au sien et né de la même cause, PÉLADAN, Le Vice suprême, 1884.
11 mai 2020
Avec tout ce relâchement des derniers jours, j’allais oublier de vous dire que j’ai finalement terminé la lecture du « Voyage autour de ma chambre » de Xavier de Maistre. Le seul livre que je sois arrivé à lire durant cette période, et encore, par pure coquetterie. Xavier n’a ni la puissance de Sterne, dont il s’inspire, ni la verve profonde de Diderot, son frère ennemi. Il a de la légèreté et de l’esprit et on lui pardonne d’avoir été dans le camp des petits aristocrates contre-révolutionnaires. Mais il ne ravit point. N’empêche, je vous ai gardé pour aujourd’hui, jour de la levée du confinement en France, les pages du dernier chapitre, qui ont quelque chose de sympathique, malgré cet « être bienfaisant par excellence », dont je me demande bien à quoi il joue avec nous.



10 mai 2020
Dernier cigarillo fumé à la fenêtre avant la levée du confinement. Ciel nuageux et gris. Vent frais. La rue est déserte. Quatre ballons gonflés à l’hélium se promènent, trois roses et un vert menthe. Ils rasent les trottoirs puis s’élèvent vers les étages. Comme un petit air de fête. Mais la quiétude de Saint-Hubert ne les amuse guère. Ils profitent d’un courant d’air et s’envolent en riant vers la Saint-Maur.
9 mai 2020
Nous étions dans un monde d’à peu près et ils nous ont enlevé le peu qui nous restait.
8 mai 2020
« J’ai pas soupé, viens donc manger. J’ai peur de la mort, ça va refroidir, faut pas s’en faire… ». Je ne connaissais pas cette chanson de Pauline Julien. J’aurais dû la découvrir il y a quelques semaines.
7 mai 2020
Je ne comprends pas les Français. Ils ont un Prix Nobel de médecine qui leur a expliqué l’origine du virus, un prof en cheveux longs, spécialiste en statistiques d’accidents de trottinette qui leur a trouvé directement un protocole adéquat et les Hôpitaux de Paris qui inventent un nouveau médicament directement présenté aux médias. Qu’est-ce qu’ils veulent ? Un Président qui leur conseille un traitement à l’eau de Javel ?
6 mai 2020
Message à R. : « Aujourd’hui, rien, rien. Photo pour une nouvelle carte d’identité. J’ai mauvaise mine. »
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Valery Giscard d’Estaing visé par une plainte pour agression sexuelle. Je puis témoigner sous serment que lorsque je lui ai été présenté, il s’est contenté de me serrer la main.
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Commentaire sur une remarque de Nuno Viera d’Almeida, ami portugais, pianiste, qui écrit à propos des transmissions musicales par Internet où chaque musicien interprète seul sa partition, « a música não é isto » : « Cher Nuno, écrire en ce moment à propos des exécutions musicales collectives recourant aux technologies de communication « a música não é isto », c’est supposer qu’il y a une modalité unique et idéale d’exécution de la musique. Je ne suis pas musicien, mais, comme tu le sais, je me suis un peu intéressé à l’histoire et à la sociologie de la musique. La musique a toujours été dépendante des conditions socio-économiques et des circonstances techniques de sa production et de son exécution. Quand le phonographe est apparu, beaucoup de musiciens on dit « a música não é isto » et ont refusé de se faire enregistrer. Le premier enregistrement de la Cinquième symphonie de Beethoven a été anonyme, et son existence a finalement conduit Arthur Nikisch et le Philharmonique de Berlin a livrer un enregistrement. Longtemps, j’ai lu et entendu dire que Celibidache était contre l’enregistrement, et pourtant aujourd’hui Qobuz me propose une cinquantaine de disques qui me permettent de l’écouter diriger Mozart ou Mahler. Evidemment, je suppose que tous les interprètes préfèrent interpréter les oeuvres en présence de leurs collègues et (en principe) amis, dans des salles à l’acoustique parfaite. Mais dans les circonstances actuelles, les interprétations à distance ont été un phénomène remarquable, d’une force symbolique puissante : la musique à distance comme résistance à l’isolement et à l’horizon de la mort. Depuis le début du confinement, la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton offre tous les jours sur sa page Facebook, depuis son appartement, seule ou avec des amis et amies lointains de brèves interprétations des oeuvres qu’elle défend depuis des années, des mélodies juives, Boccherini, Schubert, Bartok, Dusapin et tant d’autres. Je ne sais pas pourquoi elle ne joue jamais Beethoven, ce qui m’attriste. Ces petits cadeaux qu’elle nous fait, chaque jour, sont un moment de bonheur et de réconfort et c’est un des rares beaux souvenirs que je garderai de cette période triste et macabre, où je ne survis guère à l’enfermement et au déferlement de nouvelles sombres qu’en pratiquant l’humour noir avec quelques uns de mes amis. Sur une des vidéos, pendant que Sonia joue Mousssorgski, son chat passe derrière elle. Para mim, a música também é isso.
5 mai 2020
Cherche rôle dans un scénario de déconfinement. Quelqu’un pourrait-il me conseiller un apresario ?
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Certes, le libéralisme n’a pas inventé le virus. Il ne l’a pas toujours combattu non plus. Le fait qu’aux Etats-Unis, en Angleterre, en France et même en Suède le virus ait plus frappé dans les zones les plus pauvres n’est évidemment pas un résultat du libéralisme. C’en est juste un corrolaire. (…) Ne me faites pas écrire les idioties que je n’ai pas écrites. Je n’ai pas dit que le virus ne touchait que les zones ou les populations les plus pauvres mais qu’il les touchait plus.
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Message à R. : « Finalement, je suis sorti. Il pleuvait encore un peu. Buée sur les lunettes, à cause du masque. Des passants, jeunes, sans masques, ne respectent pas les distances. Chacun est devenu un ennemi. J’ai voulu descendre jusqu’au boulevard Richard-Lenoir, la frontière de mon périmètre autorisé. Trois hommes forment un petit groupe, se tapent sur l’épaule, rigolent. J’ai peur, oui, j’ai peur, comme jamais. Je fais demi-tour. Je veux retirer de l’argent. Misère, j’ai oublié mon numéro de code. Deuxième essai. Erreur. Je vais au tabac, deux paquets de cigarillos pour moi, quatre paquets de fines cigarettes pour Mina. J’essaie de nouveau. Code faux. Excuses dépitées à la vendeuse. Je rentre à la maison, tout penaud. Je pleure. »
Ce matin, j’étais prêt à sortir enfin, juste pour aller m’acheter des cigarillos, faire quelques pas. La pluie s’est mise à tomber. J’ai écouté les rafales lentes s’écraser sur les feuilles du bouleau. C’est intéressant, cette pluie. Un motif normal, simplement normal, pour ne pas sortir.
4 mai 2020
Message à R. : « Je crois que je retiendrai cette période comme le moment où je suis devenu vieux, sans l’accepter. Ne plus avoir envie de sortir, c’est être vieux, non è ? ».
« Maintenant que la jeunesse » est paru en 1948 dans Le Nouveau Crève-Coeur. Aragon avait 51 ans. On n’est jamais trop vieux pour être jeune.
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En ces temps difficiles pour l’édition belge quelques titres érotiques devrait permettre de renflouer Espace Nord. Stupre et tremblements ! Voilà un titre qui devrait marcher à la rentrée.
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Il faut vraiment beaucoup d’imagination pour espérer que tout cela va déboucher sur un monde meilleur : rouvrons vite les bibliothèques d’après !
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Principe giscardien : tu ne rouleras jamais deux fois dans le même après.
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Réponse à Pascal Durand, qui prône le rattachement de la Principauté de Liège à la République de Venise :
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Le Sénat français rejette le plan de confinement du gouvernement. Ces gens sont vraiment incompétents : ils n’ont pas encore compris comment fonctionne une dictature.
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« Je ne crois pas aux déclarations du genre « rien ne sera plus jamais comme avant » – Michel Houellebecq. Justement, aujourd’hui je suis malheureux de l’instant même, donc ni malheur rétrospectif, ni malheur d’anticipation. Tellement malheureux même que je lis ce texte de Houellebecq, auteur que je n’ai jamais eu envie de lire, et que je suis d’accord avec à peu près tout (sauf le côté délateur qu’implique la géolocalisation de ses confrères).
3 mai 2020

Revu (dans l’ordre inverse) Caro Diario, Aprile et Il Caimano de Nanni Moretti. Ces films n’ont pas pris un ride. Ansi, ci trovo ancora più piacere che a la prima vista. Nanni ne nous parle pas seulement de lui et de l’Italie, mais de nous. Tendresse mélancolique, humour désabusé et, malgré tout, exigence éthique de notre génération gâtée et futile.
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Malheureusement, la rue Xavier Privas est au-delà de mon kilomètre autorisé….
2 mai 2020

J’avais pour habitude, par je ne sais quel fétichisme, d’aller me faire couper les cheveux au Boudoir, rue Fontaine, à deux pas de la maison d’André Breton. Cela m’amenait à prendre la ligne 13, la plus populaire, la plus bondée, jusqu’à la Place Blanche. Par prophylaxie, je vais devoir renoncer à cette promenade et revenir au style de ma folle jeunesse.
1er mai 2020

Albert Robida. illustration pour La guerre infernale de Pierre Giffard (1908)

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Cela me rappelle la superbe pique-assiette, un peu bohème, que nous vîmes un jour au Petit Zinc, rue Bonaparte. A la table à coté de la notre, un monsieur un peu âge, style sénateur replet, bien mis, dégustait dignement, en solitaire, son plateau royal. La dame arriva, s’assit et lui lança : « Salaud, tu as déjà mangé tous les bulots » et choisit une fine de claire. Le Monsieur la regardé, interloqué, échangea avec moi un regard amusé puis héla le serveur. « Madame travaille pour la maison ? ». La dame piqua une autre fine avant d’être emmenée manu militari. Comme La Hune, le Petit Zinc n’existe plus.
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Le Monde publie une tribune où des artistes de premier plan interpellent le Président de la République en vue d’une prise en considération de mesures à adopter pour sauver la culture de la débâcle économique qui est la sienne à l’heure de la pandémie. Il faut lire les commentaires des lecteurs du « journal de référence » pour réaliser le combat terrible que les professionnels de la culture vont devoir mener pour obtenir gain de cause. La plupart des commentaires relèvent de la haine contre les artistes et les intellectuels qui caractérise les mouvements fascistes. Cette haine se nourrit du mauvais exemple de quelques artistes fraudeurs du fisc, du four, bien réel, de tel film d’une des signataires, de la fortune supposée de tel acteur pour dénier la nécessité d’une politique de crise en faveur d’un secteur d’activités sinistré, voire même pour dénier toute politique culturelle. Cela en dit long sur la méconnaissance de ce que représente ce secteur dans l’économie nationale. Le fait que la culture constitue elle aussi un secteur d’activités économiques, créateur d’emploi, est lui-même contesté. La haine va jusqu’à accuser la culture d’être responsable de la désindustrialisation de la France ! Il est effectivement temps que le Président de la République, et, en Belgique, la Première Ministre affirment clairement que la politique culturelle ne sera pas une victime, pire, un bouc-émissaire, de la crise actuelle.
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