Journée d’investiture

Les averses sont passées. Le soleil est revenu. L’air est doux. La capitale, toujours un peu égoïste, fête dans une indiférence bienheureuse l’investiture de son nouveau Président. Sur chaque kiosque, la couverture de L’Express : « Le Kid ». Et celle de Society, avec pour titre « A méditer » : une photo du jeune héro, debout, mais les yeux fermés. Est-ce qu’il va parler en rêvant, comme Robert Desnos ? Ou peut-être sommes nous en état d’hypnose ? Boulevard Saint-Germain, une dame anglaise montre à son amie la une de Charlie-Hebdo : « This is Mrs Macron, his wife. She is pregnant ! Those Frenches, you know ».

Un hélicoptère survole le fleuve. Le Président doit toujours être à l’Hôtel de Ville où il est allé rendre visite à Madame la Maire. « Je n’en ai rien à battre ! », qu’elle disait de lui, il y a un an. Le Comité olympique est dans les parages. Hier, la presse annonçait que la Dircom de la Mairie était en grève. Trop de précarité. « Pourtant, ce sont des équipes très motivées, très enthousiastes, expliquait un syndicaliste. La plupart ont connu tous les maires de Paris ». Bigre. Même Etienne Marcel?

Pour passer sur le Pont Saint-Michel, je dois me soumettre au contrôle. Pas de problème, je n’ai que le Perec empléiadé tout frais dans ma besace. « Dans les milieux de la publicité, généralement situés, d’une façon quasi mythologique, à gauche, mais plus aisément définissables par le technocratisme, le culte de l’efficience, de la modernité, de la complexité, le goût de la spéculation prospective, la tendance plutôt démagogique à la sociologie, et l’opinion, encore assez répandue, que les neuf dixièmes des gens étaient des cons tout juste capables de chanter en choeur les louanges de n’importe quoi ou de n’importe qui, dans les milieux de la publicité, donc, il était de bon ton de mépriser toute politique à la petite semaine, et de n’embrasser l’histoire que par siècles« . (Les Choses, 1965).

Sur le Pont au Change, je croise deux jeunes filles. L’une, véhémente : « Tu vois, je ne voulais pas voter. Quand tu es contre, tu ne votes pas. C’est une question d’honnêteté intellectuelle. Puis, au dernier moment, je me suis dis qu’il y avait un risque et j’y suis allée ». L’autre opine. « Oui, voter, c’est toujours un risque ». La jeunesse est en vigie, pas besoin de déranger le veilleur du Pont.

La Place du Châtelet est bouclée par des cars de CRS ; la Tour Saint-Jacques entourée de palissades.  Est-ce que le jeune Président, en sortant de la Mairie, bras dessus bras dessous avec sa Joséphine, passera le Pont d’Arcole, qui lui va si bien? Je n’essaie pas de prendre le Quai de Gesvres pour prendre un bain de foule, essayer de voir la robe bleu Vuitton de Madame. Je ne vais pas essayer de jouer mon petit Hegel : « J’ai vu l’Empereur – cette âme du monde ». Pas la peine, tout le monde l’a déjà vu à la télévision ou sur son portable. Trop de selfies, qui n’auront pas valeur de collection. Il faut dire qu’il avait de l’allure, et tant pis pour mes amis, un rien grincheux, qui lui préféraient le roitelet des abstentionnistes. Il était fier, ce matin, sur son char. Il n’y a pas à dire, j’aime son sourire, plus ironique que carnassier. Comme si il savait que tout cela n’était qu’un lointain héritage obligé des fastes royales de la Renaissance. La gravité n’exclut pas l’humour et Offenbach tempère l’hymne martial. Les choses sérieuses recommenceront demain.

Je file par la rue Pernelle, la rue Saint-Martin, l’église Saint-Merri. Desnos habitait là. Je ne dois pas traîner : Rue Rambuteau, Colette va bientôt fermer sa librairie. Sur la porte, l’affichette « Le programme d’Emmanuel Macron, en vente ici » a été retirée, déjà.

Je trouve ce que j’étais venu chercher, Nous allions à l’aventure par les champs et par les grèves – Un voyage en Bretagne de Gustave Flaubert et Maxime du Camp. Oui, bientôt, la Bretagne. L’aventure vaut bien les embarras d’une investiture.

Paris, 14 mai 2017.

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