Il y a 75 ans, l’exécution de mon grand-père, François Médart, et de ses compagnons

François Médart, son épouse Jeanne et ses filles Josée et Yvette, le dimanche 13 juillet 1941, la veille de son arrestation.
François Médart, la veille de son arrestation, avec son épouse Jeanne et leurs filles, Josée et Yvette, le dimanche 13 juillet 1941, dans le jardin familial de Flémalle-Grande.

Il y a aujourd’hui 75 ans, le 24 janvier 1942, étaient exécutés par des soldats de l’armée allemande d’occupation, au camp militaire de Beverloo, dans la province flamande du Limbourg belge, Jean Derwael, Omer Ernest et François Médart. Ce dernier, né le 6 mai 1903, était mon grand-père maternel.

La mémoire de ce grand-père résistant m’a toujours hantée. Longtemps, elle a été mythique, basée uniquement sur le récit qu’en faisait ma mère. Celle-ci avait quatorze ans, lorsque son père fut arrêté, la nuit du 14 au 15 juillet 1941. Nous ne posions guère de questions à ma mère, jamais à ma grand-mère, décédée en 1972. L’évocation du terme héroïque de « Résistance » et la connaissance générale de la Seconde guerre mondiale nous suffisait, nous ne cherchions pas à connaître le détail des circonstances historiques qui avaient conduit à ce drame particulier. Ma mère préférait parler de l’après, de ce que la mort de son père avait eu comme conséquences pour sa vie, celle de sa soeur et de sa mère. Très tôt elle avait pris ses distances avec les organisations patriotiques, nées dans l’après-guerre, dont elle détestait les rituels de célébration, qu’elle trouvait mortifères. Elle préférait regarder vers l’avenir. Moi, j’écoutais et réécoutais « L’Affiche rouge » de cet inusable Ferré chante Aragon. 

Ce n’est qu’au début des années 80 que j’ai commencé à essayer de comprendre plus en détail ce qui s’était passé, mais occupé par d’autres priorités sentimentales, professionnelles, politiques, j’ai longtemps différé le travail de recherche historique qu’il aurait fallu faire au moment où des témoins importants étaient encore en vie.

Le notaire Arthur Coëme (1895-1941)
Le notaire Arthur Coëme (1892-1941)

Et ce n’est que tout récemment que j’ai entrepris un travail approfondi sur l’histoire du groupe de mon grand-père, dont sept membres furent exécutés, entre septembre 1941 et janvier 1942 : ce qu’il est convenu d’appeler le « groupe Coëme », du nom de son dirigeant, le notaire de Tilleur, Arthur Coëme. Je ne publierai une étude détaillée que lorsque j’aurai pu avoir accès aux dossiers de la Sûreté de l’Etat, conservés au CEGESOMA, le centre d’études historique spécialisé à Bruxelles. Mais je voudrais ici esquisser à grands traits ce qui est connu de l’histoire de ce groupe pionnier. Peu de choses, à vrai dire, et il est curieux que seul un historien flamand, Etienne Verhoeyen, s’y soit intéressé au début des années 90, mais de manière malheureusement incomplète. L’histoire du « groupe Coëme », et celle, apparentée, du « groupe de Seraing », se déroulent pourtant dans la banlieue industrielle liégeoise, qui, par ses charbonnages et son industrie sidérurgique, constituait un enjeu stratégique important pour l’industrie de guerre allemande.

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Le notaire Coëme et son groupe sont évoqués dans le livre épique Passeports pour l’au-delà. Récit de l’underground belge (traduit en anglais sous le titre The White Brigade) que l’avocat et poète wallon Robert Goffin publie en 1944 à New York. Mais ce récit, « qui est vrai comme la lumière recréée par un peintre peut à la fois être fausse et exacte »,  ne peut être admise comme source fiable : l’auteur reconnaît lui-même qu’il s’est « efforcé de dépersonnaliser les caractères, de les confondre, de les simplifier, pour mieux les brouiller aux yeux de l’ennemi et pour donner plus de cohérence à l’histoire de leur dévouement« . Ainsi ne peut-on considérer comme réellement advenue la réunion, tenue à Liège et présidée par le notaire Arthur Coëne (sic), durant laquelle des représentants, venus des Neuf provinces, et dont certains noms sont bien ceux de personnages réels, auraient discuté des priorités et objectifs de la « Brigade blanche ».

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Les seuls témoignages directs dont je dispose aujourd’hui sont le livre, publié à la Libération, des avocats  Cassian Lohest et Gaston Kreit qui défendirent les Belges devant le Conseil de guerre allemand à Liège, les portraits et les lettres des condamnés à mort réunis par l’Abbé Matthieu Voncken, aumônier de la Citadelle à Liège, et les récits de deux des trois évadés de la Citadelle, Robert Gendarme et Georges Gadisseur, qui le 20 janvier 1942, réussirent à se faire la belle. Le récit de Gendarme (y compris ses déclarations à la Sûreté de l’Etat, à Londres en août 1942) a fait l’objet d’un des volumes pittoresques, en français dialectal, de la série Mon Mononke de Paul Biron. Gadisseur a, quant à lui, rédigé des carnets détaillés, extrêmement précieux, durant l’été 1942. Ceux-ci ont fait l’objet d’une adaptation sous forme de téléfilm, La peine capitale, en wallon, de Freddy Charles, diffusé par la RTBF en 1988 mais n’ont été publiés qu’en 2013 par sa fille.

Un des exemplaires conservés de "Radio Patacoye", la feuille clandestine éditée par le notaire Coëme (source : IHOES).
Un des deux exemplaires (Noël 1940) conservés de Radio Patacoye, la feuille clandestine éditée par le notaire Coëme (source : IHOES).

D’après le récit des avocats, les membres du groupe Coëme se sont connus à l’occasion de la contre-manifestation organisée le 5 janvier 1941 pour aller perturber le meeting du chef rexiste Léon Degrelle au Palais des Sports de Liège, le jour où celui-ci prononça son serment d’allégeance au Führer. Le notaire Coëme avait été un volontaire, cité pour sa vaillance, durant la Première Guerre mondiale et était dans sa commune de Tilleur, une personnalité reconnue, apparenté à la famille démocrate-chrétienne. Il fut pendant quelques mois l’éditeur de Radio Patacoye, une feuille satirique tirée à quelques centaines d’exemplaires, animée par une petite équipe autour du commissaire de police d’Ougrée, Auguste Garay.

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Toujours d’après les avocats (mais ceux-ci n’eurent guère l’occasion de contredire l’accusateur allemand), le groupe Coëme nourrissait un projet « grandiose » : celui de détruire les ponts-barrages d’Yvoz-Ramet et de l’Ile Monsin (respectivement en amont et en aval du bassin sidérurgique liégeois), ce qui aurait eu pour effet d’empêcher la navigation fluviale et donc l’utilisation des infrastructures industrielles au bénéfice de l’effort de guerre allemand. L’enjeu était de taille. Une partie des usines Cockerill avait déjà été réquisitionnée pour produire des obus ; un accord du groupe Ougrée-Marihaye avec le groupe Otto Wolf et une livraison aux Allemands de billettes d’acier, camouflée, par les usines Cockerill faisaient craindre une intégration complète des capacités régionales à l’industrie allemande d’armement.

Jean Derwael
Jean Derwael (1904-1942)

Le groupe ne disposait pas de suffisamment d’explosifs pour réaliser d’emblée un tel projet de sabotage. Il se contenta d’une action beaucoup moins ambitieuse : le 11 juillet 1941, il fit sauter à la dynamite un mât électrique de 62 mètres de haut, en bord de Meuse, à Yvoz-Ramet. L’opération, dirigée par Jean Derwael et René Jamar ne réussit pas du premier coup et dû être recommencée la nuit suivante. La réaction fut immédiate : les 14 et 15 juillet, onze des membres du groupe étaient arrêtés par la Geheime Feldpolizei (GFP). Le groupe avait été dénoncé par on ne sait qui et infiltré par un certain Heinemann, un ancien sous-officier belge, originaire des Cantons rédimés, et qui travaillait comme interprète pour la Gestapo. Jean Derwael, par naïveté, s’était montré trop confiant. Il semble qu’il ait été abusé à l’occasion d’une soi-disant arrivée d’un avion anglais à Dolembreux, qui aurait permis de faire passer en Angleterre des jeunes gens volontaires, un piège tendu par les Allemands.

René Jamar
René Jamar (1900-1941)

Le 6 juillet, un autre attentat avait été commis contre la Centrale électrique de Rotheux-Rimière, qui alimentait le bassin industriel de la Ruhr. Les dégâts avaient été significatifs, mais pas définitifs : ils occasionnèrent  deux jours d’arrêt de livraison. Cet attentat n’avait pas été commis par le groupe Coëme, mais par le « groupe de Seraing », qui, sous la direction de Gaston Detilloux, réunissait deux électriciens de la Centrale R.T.T. de Seraing, Georges Gadisseur et Georges Béchoux ainsi qu’un employé municipal, Robert Gendarme. Ce groupe s’était formé à l’automne 1940, à Seraing, de l’autre côté du fleuve, pour se livrer à des activités de renseignement, de dénonciation des collaborateurs et de distribution de presse clandestine. Il travaillait au départ sous la direction d’un industriel sérésien, Antoine Longueville, qui avait créé en août 1940 le réseau de renseignement « Antoine » et en référait à Antoine Delfosse, ancien Ministre démocrate-chrétien, resté à Liège après l’invasion. Delfosse avait créé l’organisation Armée de libération (AL), essentiellement composée de représentants de l’armée, de la gendarmerie et de la police et qui recrutait de jeunes militants démocrates chrétiens.

Longueville et Delfosse désapprouvaient les sabotages et c’est à leur insu que le groupe de Seraing se lança dans ce type d’activité. Il semble que pour préparer une seconde action (contre un pylône à Néblon-le-Moulin, dans le Condroz, 19 juillet 1941), le groupe de Seraing a contacté le groupe Coëme pour obtenir de la dynamite. Après l’arrestation du groupe Coëme, les enquêteurs allemands ont réussi à retracer la circulation des explosifs, une des intermédiaires ayant parlé. Gadisseur, Gendarme, Bechoux et quelques autres furent arrêtés le 23 juillet 1941.

Gaston Robion
Gaston Robion (1904-1941)
Le gendarme Guillaume Hocké
Le gendarme Guillaume Hocké (1903-1941)

Les deux affaires, attribuées par les Allemands à la responsabilité du notaire Coëme et de Jean Derwael, furent jugées en deux temps par le Conseil de guerre. Une première session, les 26 et 27 août, porta essentiellement sur le sabotage de la Centrale électrique de Rotheux-Rimière et aboutit à huit condamnations à mort. Trois des accusés (Gaston Robion, Louis Geys et le Gendarme Guillaume Hocké) furent même condamnés à une double peine capitale, ce qui permit à Geys de faire preuve d’esprit. Lorsque le président lui demanda si il avait quelque chose à ajouter, il répondit : « Une chose me console, c’est que je ne ferai jamais que la moitié de ma peine ! ».

Omer Ernets
Omer Ernest (1906-1942)

Le 8 septembre 1941 René Jamar et Gaston Robion furent exécutés à la Citadelle de Liège. Les autres condamnés étaient en attente de leur exécution, lorsque le 25 novembre l’Oberfeldkommandant Keim annonça que leur peine était suspendue et qu’elle ne serait exécutée que si les sabotages continuaient. Les condamnés devenaient des otages.

La seconde partie du procès eut lieu fin octobre 1941. Elle déboucha, le 3 décembre 1941, sur quatre nouvelles décisions de peine capitale (Arthur Coëme, Omer Ernest, Jean Derwael et François Médart). Le 5 décembre l’Auditeur militaire Rosga (« le juge sanguinaire » selon les propres termes du chef de la Gestapo locale) annonce que les peines sont suspendues, sous réserve de nouveaux attentats. Le 17 décembre, un nouveau sabotage est commis à Bressoux : un câble électrique a été sectionné à la dynamite. La Légia, le journal collaborationniste liégeois, publie un communiqué de l’Oberfeldkommandant Keim annonçant que si l’auteur n’était pas connu pour le 27 décembre, le notaire Coëme et le gendarme Hocké seront fusillés. Ils le seront effectivement le 28.

Pendant le mois de janvier, dans leur cellule, avec des complicités extérieures, Bechoux, Gadisseur et Gendarme préparent leur évasion en sciant un bareau de leur cellule. Le 20 juillet, ils réussissaient à échapper à la vigilance de leurs gêoliers, Ils arrivent à gagner la France, puis Lisbonne et Londres. Conséquence probable de cette évasion, le 24 au matin, Omer Ernest, Jean Derwael et François Médart sont emmenés de la Citadelle à Beverloo, où ils sont fusillés.

Photos clandestines de prisonniers à la Citadelle de Liège (1942). (Source : Lohest et Kreit)
Photos clandestines de prisonniers à la Citadelle de Liège (1942). (Source : Lohest et Kreit)

Durant le procès, les accusateurs allemands et la presse collabortionniste traitèrent les attentats de « communistes », ce qui ne correspondait probablement pas à la réalité. Il semble que le notaire Coëme et la plupart des membres de son groupe étaient de simples patriotes, plutôt démocrates chrétiens ou socialistes, inspirés par un fort sentiment anti-allemand issu des souvenirs de la Première Guerre mondiale. Il semble qu’un seul des condamnés avait des sympathies communistes, sans être d’ailleurs un militant du Parti. Mais le contexte politique nécessitait cette accusation. En mai, une grève marquante aux usines Cockerill et dans les charbonnages, « la grève des 100 000 », avait démontré l’existence d’un syndicalisme déterminé, inédit dans les pays occupés et l’audience croissante du PCB dans la population ouvrière de la région liégeoise. Le 22 juin 1941, l’invasion de la Russie avait définitivement amené le Parti communiste belge dans le camp anti-allemand. Les arrestations de juillet 1941 suivirent de quelques semaines à peine celles de 300 militants communistes et antifascistes (dont le socialiste René Delbrouck, fondateur du Monde du travail), qui avaient eu lieu ce 22 juin 1941, dans le cadre de l’Opération Sonnenwende.

L’exécution des sept condamnés eut un écho important dans la population et dans la presse clandestine. Les funérailles du notaire Coëme et du gendarme Hocké furent l’occassion de manifestations populaires de patriotisme telles que les corps des fusillés suivants ne furent plus restitués aux familles. Dès février 1942, Liberté, l’organe de la section liégeoise du Parti communiste de Belgique appelait à venger Derwael, Ernest et Médart, ainsi qu’Henri Brosse, un conseiller communal qui venait de mourir dans un camp de concentration. Avec la création du Front de l’indépendance et celle des Partisans armés, la Résistance allait durcir son action, et s’en prendre, non plus seulement à des cibles stratégiques mais également à des collaborateurs et au siège de la Gestapo à Bruxelles. Mais ceci constitue une phase successive de la Résistance et la mémoire des premiers martyrs allait en pâtir. Comme le note Etienne Verhoeyen, lorsque le Général Alexander Von Falkenhausen, qui était le Gouverneur militaire de la Belgique, fut jugé après la guerre, l’exécution des otages de Liège ne fut pas mentionnée dans les charges du procès.

Liberté, février 1942. Organe de la section liégeoise du Parti communiste de Belgique
Liberté, février 1942. Organe de la section liégeoise du Parti communiste de Belgique

Dans l’article succinct qu’il a consacré à ce qu’il appelle l' »affaire des pylônes » Verhoeyen suggère que le seul lien entre le groupe Coëme et le « groupe de Seraing » était une des personnes impliquées dans la livraison de la dynamite. Ce n’est pas exact. Aussi bien Gadisseur que Gendarme indiquent qu’à l’automne 1940 ils étaient – ainsi que Bechoux – en contact avec mon grand-père, François Médart. Longueville leur aurait demandé de récupérer chez celui-ci, à Flémalle, un poste radio émetteur-récepteur volé aux Allemands et qu’il fallait réparer. La possession d’un poste émetteur était d’une très grande rareté durant les premières années de la Résistance et je ne sais comment ce poste a été volé, ni par qui. Mon grand-père l’utilisait-il le dimanche matin, lorsqu’il s’enfermait dans la cave, avec défense absolue pour sa femme et ses filles de le déranger ? En était-il simple dépositaire ?

Coëme, Derwael et Médart sont, parmi les différents condamnés des deux procès, les seuls qui aient été condamnés, entre autres choses, pour contact avec les Anglais. Longueville – dont les Allemands n’ont heureusement pas découvert l’essentiel des activités – sera simplement condamné pour vol du poste ; il sera libéré en avril 1942 et pourra reprendre les activités de son réseau, en collaboration avec les réseaux plus connus Clarence, Marc et Tegal.

Le rôle exact de mon grand-père dans toute cette histoire reste mystérieux. Il ne semble pas qu’il ait été inculpé pour participation à l’attentat d’Yvoz-Ramet (alors que, selon le récit familial, il y a participé). Il n’est pas clair qu’il détenait encore le poste après sa réparation par le groupe de Seraing. Il semble par contre établi qu’il détenait des armes : c’est un des chefs d’accusation pour lesquels il a été condamné, non remis en cause par les avocats. Qui plus est, après son arrestation, ma grand-mère a jeté des armes dans la citerne du puits de la maison familiale, où on les retrouva rouillées à la Libération. D’après le récit de ses filles, François Médart travaillait déjà pour les services anglais avant la guerre – et même disait que la famille irait bientôt vivre en Grande-Bretagne. Agent d’assurance, il était semble-t-il amené à voyager souvent en train vers la frontière allemande, ce qui aurait pu faire de lui un « honorable correspondant ».  Etait-il en contact avec le S.I.S. britannique ? L’Abbé Voncken suggère qu’il l’était, comme Coëme et Derwael (tous deux membres du réseau Antoine), « indirectement ».  Etait-il également affilié au réseau Antoine ? Aurait-il, ce qui est une autre possibilité, été en contact avec le Corps d’observation belge (C.O.B.), mis en place par Walthère Dewé durant la drôle de guerre, avec le soutien des Britanniques et qui allait devenir le célèbre réseau Clarence ? La personnalité de Dewé est proche : Dewé, comme Coëme, était un ancien de la Première guerre mondiale, connaissait Delfosse et probablement Longueville. Gadisseur connaissait personnellement Dewé, qui était ingénieur en chef à la Régie des télephones et télégraphes à Liège. La GFP se présente une première fois au domicile de Dewé le 22 juillet 1941, une semaine après l’arrestation du groupe Coëme. La GFP avait-elle identifié un lien entre ces hommes? Heureusement Dewé était entré dans la clandestinité et sa femme lança les enquêteurs sur de fausses pistes.

Avant de mourir, François Médart dément auprès de son gardien, le sergent Korst, être communiste. Il s’est converti au catholicisme en prison, probablement sous l’influence de l’Abbé Voncken. Dans sa dernière lettre, il demande que ses deux filles soient baptisées et affirme « Mon dernier cri sera « Vive la Belgique et son Roi! » Cette proclamation de loyauté vis à vis du Roi nous paraît aujourd’hui d’un douloureux contretemps : quelques semaines plus tôt, la nouvelle du mariage religieux du roi prisonnier avec la soeur d’un collaborationniste notoire a ému l’opinion ; à Londres, le gouvernement Pierlot s’inquiète des intentions du souverain et de ses zélateurs de revoir la Constitution dans un sens autoritaire ; bientôt, dès la Libération acquise, le pays va se diviser sur la « Question royale ». Le loyalisme trahi de François Médart rend sa mort encore plus amère.

Mais ses dernières paroles sont pour les siens :

« Voilà donc la fin de la guerre pour moi, mais pour vous autres, pauvres chers tous, je crois qu’elle va être plus dure que jamais, à moins qu’il y aurait encore des Belges pour vous soutenir. Je pars retrouver mes parents, car, depuis que je suis ici, je ne fais que les rêver. Encore une fois, adieu à tous ! Bon courage et posez vos lèvres où il y a une croix, c’est là que j’ai déposé le dernier des baisers que je vous envoie à travers tout l’espace qui nous sépare. Ton méchant mari et le bon père pour mes enfants. Serrez-vous le coude l’un l’autre, et ainsi vous serez très forts. (…). Mon dernier rêve sera pour vous tous que je dois abandonner.
Adieu, mes chères enfants et tous les miens ! Soyez bonnes chrétiennes; ne maudissez personne, c’est beaucoup mieux. Adieu à tous !
Ce 24 janvier 1942. Il est 6 heures« .

François Médart, probablement durant son service militaire (v. 1920 ?)
François Médart, probablement durant son service militaire (v. 1920 ?)

Paris, 24 janvier 2017.

Eléments de bibliographie

Bel Memorial : une recension des victimes de la répression allemande durant la Première et la Deuxième Guerre mondiale

BIRON, Paul, Mon Mononke et le Jour V, Dricot, Liège, 1983.

GADISSEUR (A.), J’étais un condamné à mort, Dricot, Liège, 2013.

GENDARME (Robert), « La Citadelle de Liège », in Héros et Martyrs, 1940-45. Les Fusillés, Maison d’Editions J. Rozez, S.A. Bruxelles,1947.

LOHEST (Cassian) et KREIT (Gaston), La défense des Belges devant le Conseil de guerre allemand, Pax/Vaillant-Carmanne, Liège, 1945.

VERHOEYEN (Etienne), « L’heure des saboteurs »  in Jours de luttes, Coll. « Jours de guerre », Crédit communal de Belgique, Bruxelles, 1992, pp.72-89.

VERHOEYEN (Etienne), « Résistances et résistants en Belgique occupée, 1940-1944 », Revue belge de philologie et d’histoire. Tome 70 fasc. 2, 1992,. pp. 381-398,

VONCKEN (Abbé M.), Nos fusillés nous parlent !, Soledi, Liège 1945

ZANATTA (Micheline), NOIROUX (Jeanne-Marie), ROCHETTE-RUSSE (Lily), La presse clandestine de Seraing, 1940-1944, Editions du Cerisier, Cuesmes, 2006.

La peine capitale (1988), téléfilm de Freddy Charles, d’après le récit de Georges Gadisseur

24 commentaires

  1. Beau, magnifique… Je voudrais aussi tant rendre hommage à mon oncle Léon Rombauts, prisonnier de guerre, qui me racontait ses tentatives d’évasion et ses sabotages dans le camp ou il fut interné. Mais je me souviens de si peu…

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  2. C’est très bien écrit, on est vraiment en immersion. D’autant plus quand on a vu ces endroits, on se figure le tout d’autant mieux et on voudrait en savoir encore plus. Je n’avais pas idée que Josée avait perdu son père ainsi. Tu devrais écrire davantage de récits, je Ferai assurément partie de tes lecteurs.

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  3. Belle histoire ! Je vous comprends totalement dans votre démarche visant à faire la lumière sur l’histoire de votre famille et en particulier celle de ce grand-père que vous n’avez pas eu la chance de connaître en raison de la guerre. J’ai moi-même entamé une démarche similaire en ce qui concerne mon grand-père maternel qui était aussi résistant. La chance de ma famille est que mon grand-père s’en est sorti malgré les risques nombreux qu’il a pris et le fait qu’il ait été dénoncé par une dame de son propre village. Même si j’ai eu la chance de connaître mon grand-père, j’ai été amené à faire des recherches également. Il est vrai que ce n’est qu’avec l’âge et la maturité que l’on s’intéresse à ce genre d’histoire familiale de manière détaillée. D’autre part, je me suis rendu compte que même s’il s’en était sorti sans dommages physiques, il y avait des blessures morales dont il ne s’est jamais remis et dont il n’aimait pas parler. Ce n’est que par le témoignage d’autres personnes que j’ai pu en apprendre plus. La guerre est quelque chose d’horrible qui libère les pulsions les plus basses chez certains et qui montre jusqu’où le courage peut aller chez d’autres. Mes recherches m’ont confirmé un point concernant mon grand-père, c’est que c’était vraiment un type bien qui a sauvé des vies et qui n’a jamais versé dans la haine et la vengeance après la libération. Encore aujourd’hui, il est un exemple pour moi…

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  4. Très interressant , c’est mon père Gaston Kreit qui a donc écrit le livre avec Cassian Lohest : La défense des belges devant le conseil de guerre allemand et je m’interesse de près à ce qui s’est passé au niveau des Résistants très courageux ..

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  5. En faisant des recherches à propos de mon père Albert PENNINCKX né en 1913 habitant Ougree en 1941, je suis tombé sur votre récit d’un haut intérêt. Je cherche également à retracer son parcours. Après des actes de résistance balbutiante dans la région , il dû partir précipitamment la 17 avril 1943 sur dénonciation de Raymond Lacroix également d’Ougree. ( son grand ami à l’epoque) ce personnage fit d’autres denonciations, puis aussi dans la région de Charleroi, puis parti pour la Légion Wallonie. Il disparu et fut condamné à mort par contumace.
    Mon Papa partit pour l’UK où il n’arriva que fin 1943. Il fut intégré au SOE, services secrets.
    J’echangerai Avec plaisir les maigres infos en ma possession.
    Cordialement

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  6. Grâce à vos recherches j’en connais un peu plus sur l’histoire de mon arriére grand-père Arthur Coëme. Bravo pour vos recherches. C’est passionnant de retrouver des histoires ayant un lien avec sa propre famille. Encore merci de l’avoir partagé.

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  7. Bravo André, ton étude est sérieuse et plus complète que ce que j’ai lu jusqu’à présent. Je m’étais intéressé plus spécialement à Seraing et au FI autour de Jean Hansen, universitaire et ancien élève de l’Athénée de Seraing, Je ne sais pas bien ce que recouvre ce que tu nommes le  » Groupe de Seraing ». La mère de Hansen, Aurore Hansen, a joué un rôle important dans la rédaction des journaux de résistance. Je n’ ai pas pu déterminer le rôle du prof Fernand Pirotte. Il y aurait eu un journal résistant au sein de l’Athénée ((le titre ne me revient pas). On n’en a pas gardé d’exemplaire. Mais j’ai pensé que le titre du journal d’étudiants qui fut crée après la guerre ( En avant) était inspiré par celui qui avait été clandestin.

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    1. Cher Monsieur, je suis en train d’étudier ce que les allemands avait appelé « l’affaire COËME ». Dans ce dossier, on retrouve plusieurs personnes dit du « Groupe de Seraing ». J’ai entre autre HANSEN Henri, de Liège; HANSEN Fernande, de Tilleur, couturière, elle était mariée; et un certain PIROTTE Paul. Est-ce que dans vos recherches, ces noms vous disent quelques choses?
      Bien à vous
      André MULLENDERS
      CAHPM (http://kiminvati.com/paysdemeuse/)

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  8. Merci Lionel. En fait, depuis la publication de cet article, j’ai eu accès à divers documents conservés au CegeSoma (acte d’accusation du procès Coeme, organigramme du Service Antoine,…) et j’ai commencé la rédaction d’un rapport beaucoup plus détaillé, qu’il me reste à finaliser. Le « groupe de Seraing », ici, désigne les membres du Service Antoine qui travaillaient à la RTT, rue Ferrer. Mon grand-père avait pris possession d’un poste émetteur-récepteur trouvé sur un Panzer allemand abandonné (je suppose aux alentours du fort de Flémalle). Il est entré en contact avec les techniciens de la RTT, qui avaient plus de compétences que lui pour le faire fonctionner et essayer d’augmenter sa puissance. A l’époque les liaisons avec Londres n’étaient pas encore établies. Antoine Longueville, qui avait créé le réseau, avec le parrainage, semble-t-il, de Walther Dewez, a mis à disposition un caveau familial au cimetière de la Boverie pour réaliser les tests d’émission. Je n’ai pas identifié de liens entre le Service Antoine et le F.I., qui, si je vois bien, est né plus tard. D’après les actes du jugement, il apparaît que le groupe était divisé entre des activistes qui voulaient faire des actions immédiates (comme faire sauter des pylônes) et ceux qui ambitionnaient des actions plus stratégiques (faire sauter les barrages). Je ne sais pas comment le groupe a été repéré, toujours est-il qu’il a été infiltré et dénoncé (les noms des traîtres sont connus). Je regrette vraiment de ne pas avoir mené ce travail d’investigation plus tôt, alors que certains des protagonistes étaient encore en vie.

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  9. Je viens de découvrir, un peu par hasard, l’article sur François Médard.
    Le nom du groupe Coëme ne m’est pas inconnu, ni l’affaire du sabotage de Roteux. Georges Gadisseur était mon grand-père : l’histoire des 3 évadés de la Citadelle de Liège publiée par ma tante et racontées dans le film La Peine capitale est un des nombreux récits qui permettent de mieux connaître cette période tragique où tant de civiles ont souffert, soit en tant que prisonniers, soit en tant que famille. Récit émouvant et témoignage au nom de tous ceux qui n’ont pas eu la chance de rentrer chez eux et de retrouver leur famille.
    Je suis retourné il y a quelques semaines à la Citadelle de Liège, sur le lieu même de l’évasion de Gadisseur-Gendarme-Béchoux, marqué par une grande flèche blanche.
    J’espère que ce monument ne laisse pas les passants indifférents, et que ceux qui s’y arrêtent ont eux aussi envie d’en savoir plus sur cet épisode de l’histoire de notre pays.
    Merci au petit-fils de François Médard pour son témoignage !
    Il rend lui aussi hommage à tous ces héros qui ont sacrifié leur vie pour notre liberté.
    Bien à vous.

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  10. Je viens de découvrir, un peu par hasard, l’article sur François Médard.
    Le nom du groupe Coëme ne m’est pas inconnu, ni l’affaire du sabotage de Roteux. Georges Gadisseur était mon grand-père : l’histoire des 3 évadés de la Citadelle de Liège publiée par ma tante et racontées dans le film La Peine capitale est un des nombreux récits qui permettent de mieux connaître cette époque tragique où tant de civiles ont souffert, soit en tant que prisonniers, soit en tant que famille. Récit émouvant et témoignage au nom de tous ceux qui n’ont pas eu la chance de rentrer chez eux et de retrouver leur famille.
    Je suis retourné il y a quelques semaines à la Citadelle de Liège, sur le lieu même de l’évasion de Gadisseur-Gendarme-Béchoux, marqué par une grande flèche blanche.
    J’espère que ce monument ne laisse pas les passants indifférents, et que ceux qui s’y arrêtent ont eux aussi envie d’en savoir plus sur cet épisode de l’histoire de notre pays.
    Merci au petit-fils de François Médard pour son témoignage !
    Il rend lui aussi hommage à tous ces héros qui ont sacrifié leur vie pour notre liberté.
    Bien à vous.

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    1. Merci de votre témoignage. Depuis la rédaction de cet article, j’ai entrepris des recherches plus détaillées sur le Service Antoine et commencé la rédaction d’une étude plus complète. Outre le livre publié par votre tante, qui est une source très utile, disposez-vous d’autres documents ou témoignages ?

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  11. Je ne dispose de rien d’autre si ce n’est le récit de Robert Gendarme que vous citez en bibliographie de votre article.
    J’ai également une photo de la tombe d’un des fusillés de la Citadelle : Robert Lejour (31 août 1944), avocat et membre du F. I., inhumé au cimetière de Bruxelles-Evere.

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  12. Bonsoir André, je te lis et je retiens le fait que ton grand père a pu utiliser un caveau de famille au cimetière de la Boverie, dis- tu. Je suppose qu’il s’agit du cimetière des Biens communaux. (Boverie? Je ne connais pas de cimetière ancien là- bas)
    Un ancien fossoyeur de ce cimetière des Biens – communaux me raconta que pendant la guerre on a caché des armes dans un caveau, celui des Soeurs Cockerill. J’ai compulsé les fiches . Én juillet 1944 on y a déposé le corpsd’une soeur défunte. C’était un nouveau caveau où l’on déposa également la même époque les restes d’autres soeurs ( des caisses en zinc) qui provenaient d’une plus ancienne tombe. Je me suis dit que ce nouveau caveau était l’idéal pour une cache d’armes . Ton grand- père avait été fusillé en 1942. Mais le groupe autour de Hansen a été fusillé en 1944.
    Cordialement à toi . Lionel

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  13. Bonsoir,
    Je viens de découvrir votre article, il complète mes recherches sur ce flémallois. Et ayant eu possibilité de consulter des publications (OWEN), j’ai aussi découvert que dans le groupe « Coëme » ou groupe « de Seraing », il y avait mon grand-père (Louis MERCINY). Il apparaît dans la liste de la deuxième affaire « Coëme ». A ma connaissance trois ont été fusillé, mon grand-père a eu « plus de chance », il termina à Buchenwald. Il s’est éteint le 1 avril 1970.
    Cordialement.
    André MILLENDERS

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    1. Bonjour, merci de votre témoignage. Je ne connais pas la publication Owen que vous mentionnez. Depuis que j’ai publié cet article, j’ai trouvé beaucoup d’autres informations sur le Service Antoine.

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      1. Merci André. Petit document froidement et douloureusement intéressant. Lionel

        Envoyé de mon iPad

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