Yves Bonnefoy est mort hier, disent les journaux sur leurs écrans mornes. Je l’avoue, je ne l’ai pas beaucoup lu. Seule cette Hantise du Ptyx, il y a quelques mois, dans une confrontation érudite et stérile avec un sonnet de Mallarmé. Mais la nouvelle m’émeut, cependant. Josée, ma mère, m’a laissé un petit volume, Du mouvement et de l’immobilité de Douve, qu’elle lisait au début des années 70, lorsque mon père était mourant. Je ne cherchai point à percer la dialectique de ce titre, mystérieux comme un ressac. Le livre est là, couverture un peu jaunie, collage fragile, pages qui se détachent. J’y trouve oublié un feuillet quadrillé, percé de deux trous, cercles des classements à contourner. Elle a recopié, de sa belle écriture régulière et sereine le poème « Vrai nom », qui se termine ainsi :
« Il faut à la parole même une matière,
Un inerte rivage au de là de tout chant.
Il te faudra franchir la mort pour que tu vives,
La plus pure présence est un sang répandu. »
Pourquoi a-t-elle raturé, puis repris, le dernier mot du poème ? Pourquoi a-t-elle reporté en fin le titre de noblesse de celle que l’on ne peut nommer ?
Et sur les écrans morts, voici par les mots que trois vies revivent.
Paris, 2 juillet 2016
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