La paille et le grain de François Mitterand était le dernier livre publié par un homme politique contemporain que j’avais pris la peine de lire. Les livres programmes et promesses ne m’intéressent pas beaucoup. La presse suffit en général à leur écho.
Je viens de faire une exception, et je ne regrette pas d’avoir lu Murmures à la jeunesse, ce petit livre rapide, 94 pages, que vient de publier Christiane Taubira au lendemain de sa démission. Belle coulée de lave, flamboyante, que la presse voudrait réduire au seul débat sur la déchéance de nationalité. Ce livre n’est pas uniquement un plaidoyer contre la possibilité de déchoir de leur nationalité les bi-nationaux, et uniquement eux, proposition reprise à l’extrême-droite et dont l’ancienne Ministre de la Justice souligne l’inefficacité mais aussi les risques à moyen terme, la perte de la crédibilité de la France en tant que porte-parole international des valeurs d’égalité. Sur cette question, Taubira apporte, outre ses arguments, quelques informations intéressantes : j’ignorais que la France avait signé, mais non ratifié la Convention internationale sur l’apatridie et la Convention européenne sur la nationalité. Elle indique que les tueurs du 13 novembre 2015 n’étaient pas des bi-nationaux, mais que 27 de leurs victimes l’étaient.
Le livre est aussi une réflexion sur le moment historique, dont le terrorisme islamiste n’est qu’une résultante. Contre la doctrine du Premier Ministre, elle défend aussi l’apport des sociologues, tout en critiquant un sociologisme réducteur. Tirant leçon des statistiques du Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation violente, mis en place en avril 2014, elle nous apprend que sur les 3900 personnes signalées comme en voie de radicalisation, 52 % sont des convertis récents, et que ces radicalisés ne viennent pas seulement des banlieues mais aussi des zones pavillonnaires, des communes rurales « plus ronronnantes qu’en déshérence« .
Contre la bonne conscience occidentale, elle souligne nos responsabilités – le « nous » n’est pas défini, mais on sent bien qu’il vise l’ensemble de la population française, et même européenne – : « Nous ne portons pas le poids du monde sur nos épaules, mais nous ne pouvons nous exonérer des effets de nos choix géopolitiques, des sources contestables de certains de nos conforts, de nos défaillances de solidarité. »
Style elliptique, allusif, érudit à l’occasion (J.K. Huysmans est convoqué pour la définition du symbôle !), brouillon parfois à force de vouloir être trop rapide ou trop lyrique, accumulant, dans son dernier chapitre, un peu trop de citations de poètes et chanteurs pour la défense de la beauté. Mais qu’importe ? Est-ce que vous entendez souvent des hommes ou des femmes politiques invoquer la beauté comme alternative à la misère et à la détresse des temps ?
Livre d’un moment historique, ces Murmures à la jeunesse, on le sent, sont le cri d’une femme blessée, tout autant, sinon plus, en tant que citoyenne qu’en tant que Ministre de la Justice, après un année tragique. La parole est belle et sincère. Je crains fort, cependant, que ce murmure, cri, argumentaire existentiel et dialectique, nécessite des notes en bas de page pour être compréhensible par une jeunesse qui n’a probablement jamais entendu parler de La Boétie, d’Abd el-Kader ou de Franz Fanon. Espérons que cette profession de foi, car c’en est une, plus qu’un pamphlet (la postface est un hommage, malgré tout, au Président de la République), sera lue et commentée par les jeunes, par les moins jeunes, pour que se transmettent, même réduits par la vivacité du discours, à de purs emblèmes, ces noms, ces souvenirs, ces paroles qui font que nous aimons la France mais aussi le monde et le chant des hommes.
4 février 2016.
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