Les sources de Dieu sont impénétrables – Petit hommage à François Mitterand

mitterrand_Toujours ce trouble du hasard objectif. Aujourd’hui est le vingtième anniversaire de la mort de François Mitterand. Je me rends à la Bibliothèque nationale, la bnf, dit-on, de manière kabbalistique, pour consulter une rare version de l’autobiographie du Père Athanase Kircher, laquelle propose des considérations intéressantes sur les rapports entre la Divine Providence et le hasard, ainsi qu’une histoire de nuit approbatrice et lampadophore. Dans le métro, je continue la lecture de Si une nuit d’hiver un voyageur, d’Italo Calvino, d’un certain itinéraire kirchérien. Et voilà que je tombe sur les paroles de Monsieur Kauderer, adressées au narrateur :

 » – Chut !, il me fit taire. Vous commettez de graves imprudences. Quand je vous ai confié l’observatoire, je ne pouvais pas supposer que vous alliez vous compromettre dans une tentative d’évasion. Sachez que nous nous opposons aux évasions individuelles. Il faut donner du temps au temps. Nous avons un dessein plus général à mener à bien, à plus longue échéance ».

« Il faut donner du temps au temps ! ». Et moi qui croyait, me fiant à l’érudition du Songeur, que c’était Cervantes, dans le Quichotte, qui avait copié le Président ! Peut-être est-ce le traducteur récent de Calvino qui a voulu faire un clin d’oeil ? Mais non, une fois rentré à la maison, je vérifierai dans l’oeuvre originale, dans la belle édition de la collection Meridiani. Il SIgnore Kauderer, le 2 juin 1979, a bien dit « Bisogna dar tempo al tempo« , parodiant ainsi d’avance la déclaration du candidat Président, dans une interview au Nouvel Observateur, le 28 avril 1981 : « Les idées mûrissent comme les fruits et les hommes. Il faut qu’on laisse le temps au temps. Personne ne passe du jour au lendemain des semailles aux récoltes, et l’échelle de l’histoire n’est pas celle des gazettes. Mais après la patience arrive le printemps. »

Les sources de Dieu, comme celles de Mallarmé, sont inpénétrables. Mais ce qui me trouble, c’est cette question de l’observatoire. Ceux qui me connaissent m’ont déjà entendu raconter l’anecdote : en juillet 1989, j’ai été contacté par un ami qui travaillait au cabinet de Jack Lang, alors Ministre de la Culture. Cet ami m’indiqua que le discours que le Président Mitterand devait prononcer aux Assises européennes de l’audiovisuel était en préparation et que le Président souhaitait connaître le nombre de chaînes de télévision existant en Europe. L’exercice était encore relativement facile à l’époque : on en était encore à l’Europe des 12 et l’effervescence du numérique n’avait pas encore eu lieu. Mais je fus prudent, et avant de livrer quelques chiffres, j’avertis « Cela dépend comment l’on compte« . Quelques semaines plus tard, le 30 septembre 1989, j’assistai au discours du Président. « Combien y a-t-il de chaînes en Europe. Je ne sais pas, j’ai demandé, j’ai reçu d’ailleurs des chiffres assez différents, ce qui prouve que l’Europe aurait besoin de grouper ses statistiques européennes. Ce ne serait pas une chose fâcheuse. De 50 à 90. Mais, peut-être aussi, ces informations diverses tiennent-elles au fait que la destination de ces chaînes n’est pas la même. Il y a des chaînes à vocation européenne et puis d’autres non. On dira donc qu’il y en a 50 à vocation européenne, même s’il y en a 90 en tout. » Et, avec l’ironie un peu hégélienne qu’on lui connaissait : « J’essaie de concilier les contraires ».

Quatre ans plus tard, je me retrouvais, pas fâché, à l’Observatoire européen de l’audiovisuel, établi à Strasbourg et j’étais en charge du regroupement des statistiques europénnes sur l’audiovisuel. J’ai même fini par dessiner une base de données, pour rendre les statistiques plus simples à élaborer, en conciliant les méthodologies contraires. J’ai fait cela pendant vingt-deux ans. De temps en temps, je soulignais, pour m’amuser de cette petite ruse de l’Histoire, que c’était l’accomplissement d’une mission divine. Puis, l’an dernier. usant de mon libre arbitre, suite à quelque fatalité, j’ai organisé mon évasion, annoncée comme il se doit dans la grande bibliothèque du Collegio Romano. Que M. Kauderer me pardonne.

Les quelques lignes de Calvino me laissaient songeur. Déjà je méditais un nouveau billet. En changeant de ligne à la station Saint-Lazare, je me suis souvenu que je me rendais à la Bibliothèque François Mitterand. C’était un peu par hasard que j’y allais aujourd’hui, mais c’était le plus bel hommage que je pouvais rendre au Président défunt. Le dessein était bon.

Un coup de Dieu, jamais, n’abolira le hasard.

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1 commentaire

  1. Il arrive qu’on éprouve une sorte de rare bonheur : rencontrer un auteur qui cite ses sources, et à bon escient…
    Et qui, lui aussi, se trouve songeur devant les choses !
    N’hésitez pas à continuer, je viens de faire un livre de mes songes…!
    Pour mémoire : j’ai tenu une chronique d’analyse publicitaire dans « Le Monde », de 1977 à 1981.
    F.B.H.

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