
Alors que nous rentrons de Rome à Paris, samedi 21 novembre, la Belgique est brusquement en alerte de niveau 4. Bruxelles est en état de siège. Dimanche soir, vaste coup de filets dans le centre de Bruxelles, à Molenbeek, dans d’autres villes. Les médias sont invités à ne pas donner de détails sur le déroulement des opérations. Cette invitation est largement suivie. Sur les réseaux sociaux, les citoyens échangent des images de chats. Le fait que la Belgique, et en particulier la commune de Molenbeek, à l’ouest de Bruxelles) ait servi de base arrière pour les attentats de Paris (mais aussi plusieurs des attentats de ces dernières années, depuis l’assassinat en septembre 2001 du Commandant Massoud) et état de siège inédit, décrété après un communiqué de l’OCAM, (l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace, qui établit l’échelle des risques à partir des informations collectées par sept organes de renseignement) échauffent les esprits. Différents journaux (Politico, Le Monde, puis le New York Times) publient des articles mettant en cause la Belgique, de manière très condescendante, approximative et excessive. Politico titre sur la faillite de l’Etat belge en rappelant de vieux scandales de corruption, l’assassinat d’André Cools, l’affaire Dutroux ; Le Monde, à rebours de bien des analyses, évoque l’échec du fédéralisme et parle d’une « nation sans Etat » ; le New York Times écrit que « the country is again being ridiculed as the world’s most prosperous failed state« . Sur Facebook, ces articles font le délice de quelques expats tournant autour des institutions européennes, trop heureux de pouvoir se lamenter de leurs difficiles conditions de vie à Bruxelles et de leurs déboires avec l’administration belge.
Je n’est jamais été un nationaliste belgicain (il y a quelques jours, je viens de trouver « belgiquois » chez Victor Hugo), mais le ton de ces articles et de ces commentaires m’agace. Il y a de cela quelques années, nous étions quelques uns à nourrir notre dandysme des sarcasmes de Baudelaire contre la Belgique, cette « pauvre B… », « arlequin diplomatique ». Que l’Etat belge, avec ses sept parlements et gouvernements, soit un ensemble institutionnel complexe, avec certains dysfonctionnements, voilà un constat que personne ne niera. Mais se moquer d’une soi-disant faillite totale de l’Etat parce que les services de renseignement, faute de bonne communication, n’ont pu empêcher des terroristes de passer à l’acte me paraît excessif. A-t-on dit que les institutions des Etats-Unis étaient en faillite après le 11 septembre ou dit-on que l’Etat français est en faillite depuis les massacres du 13 novembre ? De telles critiques, fondées sur une connaissance assez superficielle de la Belgique hérissent plutôt qu’elles n’aident à la réflexion. La Libre Belgique répond vertement, invitant son confrère parisien à moins de condescendance. Moi qui ait été éduqué dans la méfiance vis à vis de ce qui était alors le journal de la droite catholique nationaliste et dans le respect fétichisé de ce qui était alors le grand quotidien de Beuve-Mery, je me prends à applaudir La Libre et à envisager de me désabonner du quotidien, qui abrite pourtant ce blog.
Heureusement, les Suisses interviennent pour calmer le jeu. La radio suisse (RTS) organise un dialogue, quasi un arbitrage, entre l’euhisant Arnaud Leparmentier, qui avoue avoir contribué à l’éditorial du Monde, non signé selon l’usage, et Francis Van de Woestyne, rédacteur en chef de La Libre Belgique. A Genève, un journaliste du Temps trouve ce « ping-pong médiatique » minable, indique que la division entre Européens profite à Daesh. Finalement, Luc Bronner, le directeur des rédactions du Monde en vient à formuler des excuses en forme de réponse, assez curieusement rapportées sur le blog Bigbrowser, la revue de presse du quotidien : « Je comprends l’émotion provoquée par cet éditorial en Belgique. L’intention n’était vraiment pas de donner une quelconque leçon, encore moins de blesser les Belges. Peut-être aurions-nous dû préciser, en une phrase, dans ce texte, pour les lecteurs qui ne lisent pas nos éditoriaux tous les jours, que ce constat n’exonérait en rien la France. Car si cet éditorial peut sembler sévère, nos éditoriaux sur la France le sont encore plus – avant et après les attentats du 13 novembre – qu’il s’agisse de l’échec de notre système éducatif, des failles de notre modèle social, de la situation de nos banlieues, des limites de nos services de renseignement, des risques du recours à l’état d’urgence ou, comme nous l’écrivons aujourd’hui, de la nécessité de s’attaquer en profondeur aux racines du ‘djihadisme français’. Voilà une mise au point utile. Mais, amis français, apprenez aussi de réduire la culture belge à Philippe Gelück et à Jacques Brel et à nous réduire à notre petit espace (sans Nation), comme s’il limitait nos capacités de compréhension du monde. Apprenez aussi à comprendre ce qu’est un Etat fédéral, coûteux certes, inefficace parfois, mais qui est pour l’instant le seul modèle que les Belges aient trouvé pour gérer leurs problèmes et éviter une confrontation violente entre les différentes composantes de la population.
Il reste que l’état d’alerte décrété à Bruxelles depuis samedi m’inquiète. Mon ami Michel Gheude, qui n’est pas un praticien de la langue de bois, ni un habitué de la stratégie de l’autriche, écrivait hier sur sa page Facebook : « Il est possible que les mesures de sécurité prises à Bruxelles aient été exagérées. Il est certain qu’elles n’ont pas été mises en œuvres sans certaines confusions. On évaluera a posteriori. En attendant, un minimum de confiance s’impose. On peut vivre quelques jours une situation exceptionnelle sans rouspéter à tout bout de champ. Moi qui vit en plein centre, là où le dispositif de sécurité est le plus présent, je peux certifier qu’il ne nous empêche pas de vivre et que le moral est excellent. Keep cool, friends ».
Je lui réponds : « Michel, je suis les choses de loin, depuis ce XIème arrondissement meurtri et, franchement, je perçois ce qui se passe en Belgique avec une certaine inquiétude. La presse internationale (Politico, Le Monde, le New York Times) et les expats qui tournent autour de la Commission européenne font du Belgium bashing Le gouvernement communique très mal, de manière désordonnée (le Ministre de l’Intérieur dit que c’est au Parquet d’informer et juste après c’est le Ministre des Affaires étrangères qui lache des infos encore plus anxiogènes). Je n’ai pas lu (mais cela m’a peut-être échappé) que le Premier Ministre avait reçu les leaders de l’opposition, comme le Président de la République l’a fait en France au lendemain des attentats. Si je comprends bien, une sorte d’union nationale spontanée s’est créée, avec ce discours « faisons crédit au gouvernement ». La NVA a rompu d’elle-même ce consensus. Je connais mal la situation bruxelloise, mais les attaques de la NVA contre le socialo-islamisme ont quelque chose de scandaleux. Pourquoi des perquisitions uniquement à Bruxelles et en Wallonie et pas en Flandres ? Et, vu d’ici, on a l’impression que la montagne a accouché d’une souris. Dans un magasin du Boulevard Voltaire, je viens d’acheter un drapeau français. J’ai demandé si un drapeau belge était également disponible (c’est curieux, c’est vraiment la première fois que me vient l’idée d’acheter un drapeau belge). La vendeuse m’a ri au nez. »
La situation est on ne peut plus confuse. Mercredi, un quotidien financier De Tijd/Les Echos affirmait qu’un attentat avait été déjoué dimanche soir. Information par la suite mise en doute par la RTBF, par Le Soir et, de manière moins explicite, par La Libre Belgique, qui se contente de rapporter le scepticisme des deux autres organes. Hier, au Parlement, le Premier Ministre indique que la menace est devant nous, mais, quelques minutes plus tard l’Ocam réduit le niveau d’alerte de 4 à 3. Selon le Premier Ministre, «La menace reste sérieuse mais moins imminente». Autant dire que Dieu reste subtil, mais moins malicieux. Hier aussi, le Procureur fédéral annule une conférence de presse, alors qu’en France la rigueur, la clarté du Procureur François Molins est unanimement louée, rassure les observateurs. Ce matin, interrogé sur la RTBF, le Ministre de la Justice Koen Geens indique que la détection des risques, n’est pas une science exacte, on le lui accorde volontiers, mais il élude toutes les questions précises du journaliste, notamment sur la réalité de l’attentat déjoué dimanche, et déclare ne pas être au courant des déclarations du Ministre des Affaires étrangères Didier Reynders évoquant (de manière peu ténue, il est vrai) la possibilité qu’une dizaine d’hommes lourdement attaqués risquant de commettre une attaque suivant les mêmes modalités que les attaques à Paris. Que le Ministre de la Justice ne soit pas au courant des déclarations du Ministre des Affaires étrangères, alors que le Minsitre de l’Intérieur déclare que c’est au Parquet de communiquer et que celui-ci décommande sa conférence de presse, voilà qui illustre la confusion qui règne actuellement dans le petit Royaume. Cette confusion est-elle le résultat d’un désordre gouvernemental, de déficiences institutionnelles, ou des agendas politiques différents des partis de la coalition gouvernementale, les historiens nous le diront peut-être un jour. En attendant, la population, dans et à l’extérieur du pays, est inquiète. Et si la peur était entretenue pour d’autres objectifs ? Maquer d’autres choses, d’autres décisions, par exemple celle, annoncée, d’expulser les réfugiés afghans qui ne sont pas en règle.
Dans tout ce brouhaha, une information importante a été publiée, tout en passant assez inaperçue : un arrêté royal a été signé le 12 novembre 2015, la veille des attentats de Paris. Une bisbrouille familiale vient de se clôturer : le Roi a finalement donné son consentement au mariage de son neveu Amedeo de Habsbourg-Lorraine, arciduc d’Autriche-Este, le fils de la princesses Astrid, avec la souriante aristocrate nobile Elisabetta Maria Rosboch von Wolkenstein. Le mariage a été célébré le 5 juillet 2014, sans le consentement du Roi, ce qui eût pour effet de déchoir le Prince Amedeo de son droit à la succession. L’arrêté royal prend effet rétroactif au 4 juillet 2014. Le souriant Amedeo réintègre ainsi sa sixième place dans l’ordre de succession à la couronne. Citoyen loyal et confiant, je ne m’interrogerai pas sur la constitutionnalité d’un arrêté royal avec effet rétroactif. Pour la Belgique, la menace, un peu ténue il est vrai, d’être en manque d’héritiers est réduite d’un cran. Mais enfin, Pluralitas non est ponenda sine necessitate. « Les multiples ne doivent pas être utilisés sans nécessité ». Ockham peut aller se raser tranquillement : la Belgique a ses priorités.
Paris, 27 novembre 2014.
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Message aux « Belgium Bashers » :
Bruxelles est une ville multiculturelle, pour le meilleur et pour le pire.
Les ressortissants de l’UE (non Belges) vivant à Bruxelles représentent plus de 20% (1/5) de sa population, dont plus de 60.000 Français, soit 1 Bruxellois sur 20, dont beaucoup fréquentent nos écoles supérieures, exercent une profession stable, fondent une famille.
La loi leur permet de voter aux élections communales (municipales), afin de pouvoir s’impliquer dans la cité et influencer son devenir.
Mais seule une petite minorité le fait (10%).
Source : Institut Bruxellois d’Analyse det de Statistique – http://www.ibsa.irisnet.be/themes/population/population#.VlRuB14_bdI
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