Hier soir au Palais Garnier pour un spectacle de la chrorégraphe flamande Anne Teresa de Keersmaeker. Les quatre danseuses en petite robe et bottines noires vous ont un air de collégiennes espiègles, encore petites filles qui sautent à la marelle et déjà femmes coquines, qui à l’occasion dévoilent leur petite culotte blanche en taquinant les musiciens, lesquels, au fond de la scène, interprètent le 4ème quatuor à cordes de Bartok. C’est d’un érotisme frais, vivant, moqueur. Les claquettes en bottines rythment le tout. J’adore, et Mina aussi. Je suis par contre très déçu par la Grande fugue de Beethoven. L’interprétation par le quatuor de l’Opéra de Paris me semble bien molassone, très loin de la rigueur austère mais puissante des Alban Berg. Du coup, la chrorégraphie, assez abstraite, paraît à la traîne. J’ai dis ici il y a quelque jour mon plaisir chaque fois renouvellé d’entendre Verklärte Nacht de Schönberg, donnée ici dans sa version pour orchestre à cordes. C’est la première fois que je l’entends en concert, cette musique est un ravissement, une délicatesse tendue et fluide. Un de nos voisins, très satisfait de lui même, dit à sa femme « C’est le sommet de la musique dodécaphonique ! ». Peut-on être bête : Schönberg n’inventera la musique à douze sons qu’un quart de siècle plus tard et La nuit transfigurée est bien plus proche des langeurs wagnériennes que du Quintette pour vents, op.26. La chrorégraphie d’Anne Teresa de Keerskmaker pour cette oeuvre est déconcertante. Le poème de Richard Dehmel qui a servi d’argument au poème musical évoque, durant une promenade nocturne, l’aveu d’une femme à son amant qu’elle porte l’enfant d’un autre. Plutôt qu’un simple duo, ce sont de multiples couples qui occupent la scène ; le couple initial, d’abord approché par une seconde danseuse (l’enfant à naître, peut-être, mais l’on songe d’abord à une sorte d’ange gardien) est perdu de vue, disparaît dans la masse. Les autres couples aussi s’approchent, se déchirent, se retrouvent, moments de violence, de passion, de tendresse, jusqu’à l’appaisement final. L’argument du poème se trouve, en quelque sorte, généralisé. Pourquoi pas ? Je ne suis pas un grand spécialiste de la danse, mais il ne semble pas y avoir dans cette chrorégraphie de language extrêmement novateur, même si je reste impressionné par une danseuse qui, brusquement, saute au cou de son partenaire, cuisses sur les épaules, giron contre visage. Finesse, élégance, romantisme, mais rien de comparable à l’époustoufflante lecture du Quatuor de Bartok. Celle-ci sauve la soirée d’un certain académisme post-moderne, qui nous fait regretter le souffle sauvage des spectacles de Sasha Waltz.
Paris, 3 novembre 2015