Le jardinier irlandais de « La liberté »

 Le jardinier irlandais du Cimetière Montparnasse. Photo André Lange-Médart

Le jardinier irlandais du Cimetière Montparnasse.
Photo André Lange-Médart

Le Neruda de Pablo Larrain est annoncé comme une des plus grosses productions sud-américaines. Le film est co-produit par Participant Media, la société de production américaine  fondée en 2004 par Jeffrey Skoll, l’ancien président d’eBay et qui soutient des films politiques et sociaux. Le rôle du poète chilien doit être tenu par Luis Gneco, mais la star en est le séduisant Gael Garcia Bernal, qui jouait le jeune Ernesto « Che » Guevera dans Un voyage à motocyclette de Walter Salles et je jeune publicitaire, héros du No de Pablo Larrain.

Avec Mina, nous décidons d’aller assister au tournage, annoncé pour ce 16 août, Rue Baudelaire, dans le 12ème arrondissement, juste à côté du Faubourg Saint-Antoine. Pas de chance, il n’y a personne, si ce n’est une camionnette de service, dont le chauffeur veille à clôturer l’espace dès qu’une voiture quitte son emplacement devant le numéro 32. Sous le kiosque du square Armand Trousseau, une dame joue de l’accordéon et chante des romances d’une belle voix forte. Une petite fille au joli bonnet rose voudrait l’imiter mais, la petite, l’instrument pèse trop lourd. « La musique, à partir de huit ans » dit la dame à la maman. Derrière le kiosque, un petit négrillon saute allègrement par-dessus le filet d’une table de ping-pong.

 Sofa, rue du Faubourg Saint-Antoine. Photo André Lange-Médart

Sofa, rue du Faubourg Saint-Antoine.
Photo André Lange-Médart

Faute de Neruda, nous reprenons l’exploration du Faubourg Saint-Antoine là où je l’avais laissée. L’assassin revient toujours sur les lieux du crime et je montre à Mina l’endroit où j’ai pris la photo des potes de la rue de Candie. La belle peinture sur les murs du Passage Saint-Bernard a déjà été vandalisée. Un indélicat a mis des moustaches maladroites à la belle dame. Au coin de la rue d’Aligre, un hôtel est en rénovation. Un immense sofa défraîchi, doté d’un haut dossier fleuri, met un peu d’ambiance surréaliste dans un quartier, somme toute, plutôt néo-réaliste.

 Square Armand Trousseau Photo André Lange-Médart

Square Armand Trousseau
Photo André Lange-Médart

Petit détour vers le marché d’Aligne Beauvau, où c’est bientôt l’heure des glaneurs. Un peu plus loin, au 246, je suis impressionné par un immeuble de style hausmannien, complètement troué sur le côté gauche. Cette ouverture donne sur le Passage du Génie (celui de la Bastille n’est pas si loin), dans lequel nous nous engouffrons. Il y a là une résidence pour travailleurs africains. La petite rue bruisse de leur palabre. Ils sont là, par petits groupes, à s’entretenir sur le trottoir. Un marchand fait griller des épis de maïs. Nous arrivons Boulevard Diderot. Un autre foyer, pour jeunes apprentis, se trouve dans un immeuble élégamment modernisé. Une vitre fait entrevoir un jardinet. Elle porte des séries d’initiales gravées, comme un hommage aux p’tis gars qui ont résidé là. Après avoir traversé la rue Picpus (quand est-ce que je vais trouver le temps de relire Les Misérables ?), nous arrivons à la Nation. Rond-point assez tranquille, ce dimanche. Sur un muret, un jeune homme aide un camarade noir à remplir des papiers. Beauté de cette solidarité en cette place symbolique.

 Place de la Nation. Photo André Lange-Médart

Place de la Nation.
Photo André Lange-Médart

Retour vers le Faubourg. A l’angle avec la Rue Picpus se dresse d’orphelinat Eugènie-Napoléon. Hillaret, dans son inépuisable Dictionnaire historique des Rues de Paris, deux lourds volumes que malheureusement on ne peut emmener en flânerie, raconte qu’à l’occasion des fiançailles de Napoléon III avec Eugénie de Montijo, en janvier 1853, la commission municipale vota un crédit de 600 000 francs pour l’achat d’une parure destinée à orner les épaules de la future impératrice. Celle-ci récusa le don et demanda que le montant en fut affecté à une oeuvre charitable. Sur un ancien dépôt de farine qui appartenait à la ville, l’architecte Hittorf fut chargé de construire l’orphelinat Eugénie-Napoléon. Pour rappeler le collier qui était à l’origine de la construction, l’architecte dessina un bâtiment principal de façon telle que les deux branches du collier soient figurées par les ailes, son fermoir par le salon d’honneur, et son pendentif, par la chapelle. La bienfaisance impériale avait de ces brillants ! La Fondation Prince Eugène est aujourd’hui géré par les Soeurs de la Charité et le bâtiment abrite une école. Le jardin est peu entretenu, pas même entretenu. Sur la pelouse impériale, un clochard dort tranquillement dans son sac bleu. Peut-être l’avons nous réveillé. Lorsque nous quittons le jardin, il commence une glossolalie maugréante.

 L'orphelinat Eugénie-Napoléon Photo André Lange-Médart

L’orphelinat Eugénie-Napoléon
Photo André Lange-Médart

Je m’arrête devant un petit café jaune, fièrement nommé « La liberté ». La pile de ma caméra déconne un peu, je traîne à prendre la photo, un peu niais devant les clients attablés en terrasse. Je n’aime pas me trouver dans cette situation ridicule, où le photographe devient lui-même spectacle. Un des clients, veston rayé, chemise rouge grenadine, borsalino bien fixé, barbe grisonnante, dégaine d’artiste, se lève et vient vers nous. Il me dit « Vous êtes trop timide » et se met à me singer en photographe hésitant. Là, je l’attrape au vol, avec son décor. Il est superbe. Il nous dit qu’il est Irlandais, jardinier au Cimetière Montparnasse. A Paris depuis quatre ans. Il adore la ville. Se réjouit lorsque je lui raconte que j’ai vu la Boyle Valley, au nord du Dublin, là où il est né. Nous sommes d’accord, c’est magnifique. Il complimente Mina, lui fait la bise, puis, bon prince, me la fait aussi. Le Cimetière Montparnasse est un peu plus fou que le Père Lachaise. Et vive « La liberté » !

Paris, 17 août 2015.

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