Un ravissement Renaissance.

Ecouen-111Voyez l’album de photographies ici

 Voilà une semaine que je suis occupé, sans discontinuer, à mettre de l’ordre dans les milliers de photographies numériques prises depuis 2008, et qui gisaient dans un morne désordre, parfois dupliquées à l’envi, jusqu’en dix exemplaires redondants. Mina me propose de sortir de cet enfermement iconographique et me propose une ballade dans la Plaine de France, pour aller y voir le Musée de la Renaissance, au Château d’Ecouen, quelque part entre Paris et Chantilly Je ne connaissais pas l’existence de ce musée, ni même de ce château, malgré les infâmes Edits d’Ecouen, par lesquels Henri II lança la guerre contre les Protestants. Le Musée, installé dans l’ancienne demeure des conétables de Montmorency, a été créé en 1979 et fait suite à une initiative d’André Malraux pour trouver un écrin digne pour la série des tapisseries bruxelloises du cycle de David et Bethsabée, qui étaient trop à l’étroit au Musée de Cluny.

Loués soient Mina et André Malraux pour leur sens de l’initiative ! Et loués soient les tour operators qui oublient d’inscrire ce musée dans leurs itinéraires.

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Malraux, dans L’Irréel, écrivait ceci : « Le mot Renaissance, entré dans le vocabulaire de l’histoire pour exprimer une métamorphose complexe, est entré dans celui de l’art pour exprimer la découverte progressive du pouvoir par lequel l’artiste, en faisant du rêve profane le rival du rêve religieux, et du héros le rival du saint, créé l’irréel exaltant où disparaissent ensemble la dépendance de la créature et la transcendance du Créateur« . Dans ses écrits sur l’art, l’inventeur du musée imaginaire commente les grands peintres et évoque peu les arts mineurs, ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui les « arts décoratifs », qui constituent l’essentiel des collections du musée : tapisserie, céramique, verrerie, orfèvrerie, sculpture sur bois, émaillage, marqueterie, lutherie ou encore la création d’armes d’apparat. Toutes ces formes de création sont représentées ici avec une abondance magnifique. Leur beauté plastique, leur finition technique vous guérit de l’ennui et de la facilité du trash art contemporain. Ciselure des montres-tambours, des ivoires sapi-portugais, des verres de Venise ; ingéniosité des marqueteries, d’un orgue positif, de serrures italiennes ; chromatisme des émaux, des céramiques et des faïences.

Ecouen-104Le rêve profane identifié par Malraux se traduit par une profusion de thèmes et motifs mythologiques récurrents (Apollon, Vénus, Diane chasseresse, Leda et le cygne, Phaeton, Orphée et Eurydice, Bacchus et Amphitrite, …) et cela donne des oeuvres  sensuelles, érotiques, fantaisistes, gourmandes, grotesques, obscènes même. Voyez, par exemple, ce faune et cette faunesse, dans une position de bronze on ne peut plus explicite. J’évite, dans la photographie, un gros plan qui pourrait me procurer des ennuis avec les âmes censeures qui rôdent sur les réseaux sociaux.

Faune et faunesse / Faune. Bronzes d'Andrea Briosco.
Faune et faunesse / Faune. Bronzes d’Andrea Briosco.

Et quel ami latiniste m’aidera à traduire le commentaire en latin trivial d’un motif visiblement scatologique dans une céramique dont j’ai oublié de noter la provenance ? Les céramiques, il en est de Faenza, d’Urbino, de Lyon, de Deruta, d’Izir aussi.

Ecouen-123Le naturalisme de bon vivant n’empêchent pas la grâce et la délicatesse, comme l’illustre la diversité des scènes de la tapisserie sortie de l’atelier du bruxellois Jean Baudouin, Le dîner du général, d’après une oeuvre de Giulio Romano.

Jean Baudouyn, Le dîner du général (détail), Bruxelles, 1546-1548 (d'après Giulio Romano)
Jean Baudouyn, Le dîner du général (détail), Bruxelles, 1546-1548 (d’après Giulio Romano)
"Le dîner du Général" (détail), tapisserie de l'atelier de Jean Baudouin d'apès Giulio Romano, Bruxelles, 1546-1548.
« Le dîner du Général » (détail), tapisserie de l’atelier de Jean Baudouin d’apès Giulio Romano, Bruxelles, 1546-1548.

L’accouchement, que la bienséance classique a rendu par la suite tabou, nous apparaît dans la tapisserie de la Naissance de Diane, où l’on voit la future chasseresse aider sa mère parturiente pour la mise au monde du petit Apollon.

La naissance d'Apollon et de Diane, tapisserie.
La naissance d’Apollon et de Diane, tapisserie.

Et la mort, bien sûr, traitée dans son symbolisme classique, mais aussi parfois de manière plus crue, tel cette femme mourante, voisinant un cadavre d’animal déchiqueté par un oiseau charognard dans ce Déluge en pavés colorés de Mesaletot Abaquesne.

Mateeo Abaquesne, Le déluge. Pavement coloré.
Mateeo Abaquesne, Le déluge. Pavement coloré.

Il est amusant de voir aussi, que l’art protestant prend sa revanche au Château d’Ecouen dans cette mystérieuse humiliation de deux bonnes soeurs qu’il faut chercher dans la longue série en marqueterie de l’étonnant banc d’orfèvre du très luthérien Auguste 1er de Saxe.

Banc d'orfèvre d'Auguste 1er de Saxe, Nuremberg, 1565. (Marqueterie, détail).
Banc d’orfèvre d’Auguste 1er de Saxe, Nuremberg, 1565. (Marqueterie, détail).

Et puis, quelle que soit le matériau et la technique employée, toujours la beauté et la sensualité des visages et des corps. Le visage des femmes, surtout, par lesquels le rêve peut s’épanouir.

Ecouen-112Je n’ai aucune prétention à l’histoire de l’art, ni à sa philosophie, ni à son savoir technique. Mon album de photographies (que l’on trouvera ici) n’a pas la prétention à la rigueur des bases de données du Ministère de la Culture. Je n’ai pas pris le temps de noter tous les descriptifs. Qu’importe ? J’espère au moins qu’il a plus de saveur que celles-ci, dans leurs froides et techniques descriptions. Je voudrais simplement dire ici mon ravissement devant la fraîcheur, la beauté et la liberté de ces oeuvres de la Renaissance. Rien de sublime, ici, mais cette perception de la délicatesse d’une époque du bien vivre et de la belle ouvrage.

Paris, 25 juillet 2015.

2 commentaires

  1. Intéressant et subtil commentaire de visite, cela donne envie d’y aller. N’est ce pas aussi au musée d’Ecouen que se trouve une copie de la cène de Vinci, commanditée par Gabriel Gouffier, le doyen du Chapitre commanditaire aussi de la rose des anges musiciens du croisillon septentrional de la Cathédrale de Sens. Amitiés cher André…J

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    1. Oui, tout à fait, Joëlle. Mais ce tableau m’a paru bien banal à côté de toutes les délicieuses surprises offertes par ce musée trop peu connu. Amitiés.

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