Une fleur d’innocence pour Roberto Longhi

Dosso DOSSI, Garçon à la corbeille de fleurs, 1524.
Dosso DOSSI, Garçon à la corbeille de fleurs, 1524.

J’ai découvert le nom de Roberto Longhi il y a deux ans, en lisant la touchante biographie de Pier Paolo Pasolini par son cousin germain, Nico Naldini. En 1940, Pasolini est étudiant à Bologne : « A l’université, les cours d’histoire de l’art médiéval et moderne sont donnés depuis 1934 par Roberto Longhi ; ses cours qui « suscitent une vague d’enthousiasme et forment la première école longhienne » (G. Contini) portent, cette année-là, « sur les phénomènes de Masolino et Masaccio » et appellent l’assiduité « fébrile » de Pier Paolo. Longhi, outre la peinture, aime le cinéma et va spécialement à Paris pour voir La grande illusion de Renoir et Le dictateur de Chaplin. A Bologne, il assiste aux projections du Cinema Imperiale organisés par Renzo Renzi où se rend aussi Pier Paolo « avec une grande excitation » et au parterre il reconnaît son maître : « (…) premier et peut-être unique grand homme qu »il ait rencontré et auquel il reste, avec réciprocité, fidèle (…).« 

Portrait de Roberto Longhi par Pier Paolo Pasolini.
Portrait de Roberto Longhi par Pier Paolo Pasolini.

La présence d’une telle figure de référence dans la biographie de Pasolini – c’est à Longhi que Pier Paolo dédicacera Mamma Roma – ne pouvait qu’ouvrir ma curiosité et, quelques mois plus tard, de passage à Rome, je trouvais à la Feltrinelli de Largo Argentino la Breve ma veredica storia della pittura italiana, un texte de syllabus écrit par Longhi en 1913-1914 pour les lycées de Rome. Comme l’écrit Anna Banti dans la préface de cet ouvrage, heureusement publié en 2013 par les éditions Aesthetica, « il ne s’agit pas d’un de ces habituels manuels mais d’un guide à la compréhension d’un langage muet, sans son et donc hautement éloquent. Nous le retenons plus utile et actuel que les derniers produits didactiques utilisés dans nos malheureux lycées« . Il faudrait que soit traduit en français ce cours, que l’on croirait transcrit d’un enregistrement sur bande magnétique :  vif, direct, clair avec des interpellations de l’auditeur et fournissant en 250 pages une vision ample, malgré sa brièveté, de l’histoire de la peinture italienne, mais aussi de son impact sur la peinture française, encore toute fraîche à l’époque de ce premier cours de Longhi (Courbet, Manet Degas, Cezanne).

Photo : André Lange-Médart
Photo : André Lange-Médart

Quelle surprise, il y a quelques semaines, de retrouver Roberto Longhi dans les couloirs du métro République. Le Musée Jacquemart-André lui consacre en effet une superbe  exposition De Giotto à Caravage, réunissant quelques unes des peintures de sa collection complétée par des oeuvres prêtées par les musées français et italiens.

20062015-IMG_5600Outre diverses toiles de Carravagio (dont l’emblématique Jeune homme piqué par un lézard), l’exposition présente quelques oeuvres  des primitifs italiens, dont le San Giovanni de Giotto, un maître que Longhi contribua à réhabiliter ; une Vierge à l’Enfant de Massacio et une Crucifixion de Masolino (Longhi en montrait probablement les diapositives à ce cours de 1940 dont Pasolini se souviendra dans une recension de 1973) ; une section consacrée aux disciples du Caravage (Mattia Preti, Ribera,…). Mais c’est surtout la section « De la Toscane à Ferrare » qui a retenu mon attention. C’est bien sûr toujours un grand plaisir de découvrir un Piero della Francesca (ici un Saint Jérôme avec un dévôt), mais les deux surprises sont une Vierge à l’Enfant de Cosme Tura, un peintre de l’école de Padoue établi à la cour d’Este à Ferrare et dont Longhi écrit « qu’il conçut dans le fer et le diamant » et surtout Le garçon à la corbeille de fleurs de Dosso Dossi, un artiste également établi à Ferrare au début du XVIème siècle.

Dans ce tableau, qui est découpé d’un tondo, un grand panneau circulaire à effets illusionnistes,  un jeune homme renverse joyeusement une corbeille de fleurs. Une rose voltige par-dessus son bonnet noir. Le garçon sourit d’une large sourire moqueur. Et là, c’est le souvenir de Pasolini qui revient, ou plus exactement de son acteur fétiche, Ninetto. Dans Sequenza de la fior di carta,  la contribution de Pasolini à Amore e Rabbia (1969, un film anthologie où Pasolini se retrouve avec Godard, Bertolucci, Bellochio et Lizzani) on voit un Ninetto rieur se promener joyeusement dans les rues de Rome avec une immense fleur de papier, coquelicot rouge. Les images de la déambulation joyeuse alternent avec des séquences d’actualités, hommes de pouvoir, Che Guevarra gisant, guerres, bombes…Ninetto, le jeume homme à la fleur, est l’innocent, coupable d’être innocent et bientôt victime de son innocence. Son grand sourire de moqueur candide, c’est celui de ce Garçon à la corbeille de fleurs de Dosso Dossi, pièce merveilleuse de la collection de Roberto Longhi.

Ninetto Davoli dans "La sequenza del fiore di carta" de Pier Paolo Pasolini (in Amore e rabbia, 1969)
Ninetto Davoli dans « La sequenza del fiore di carta » de Pier Paolo Pasolini (in Amore e rabbia, 1969)

En fin d’exposition, plaisir de retrouver la séquence du Decameron dans laquelle Pasolini se met en scène en tant que Giotto. Lorsqu’en 1977, avec Jacques Dubois et les belles de la Section information et Arts de Diffusion nous avions organisé à l’Université de Liège une rétrospective Pasolini, la photo de Pasolini/Giotto nous avait servi d’affiche. L’origine d’une vieille amitié.

Paris, 20 juin 2015.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.