Derrière les palissades de la Porte de La Chapelle

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La presse, ces jours-ci, faisait état d’une imminente évacuation d’un campement dans le quartier la Chapelle, où plus de 400 migrants, essentiellement Erythréens et Soudanais, vivent dans des conditions d’hygiène insoutenables, sous le pont du métro aérien. Les associations d’aides aux sans-logis sont mobilisées. La Porte de la Chapelle, je connaissais un peu ; c’est là que, étudiant, je me postais pour faire de l’auto-stop au retour vers Liège. Plus tard, c’est là que je faisais le plein d’essence avant de reprendre l’autoroute. J’ai donc décidé d’y aller voir.

Je descends à la station La Chapelle. Sous le pont du métro aérien, tout paraît tranquille. Des hommes bavardent à une terrasse de café, d’autres errent, désoeuvrés, dans le square. Rien d’inhabituel. Je remonte la rue Marx Dormoy, pour me diriger vers la Porte. Boutiques orientales, arabes, africaines. Un vieil arabe est assis tranquillement devant un Monoprix.

Puis la rue de la Chapelle, avec la massive église Saint-Denys et sa statue de Jeanne d’Arc, la queue devant la Caisse des Allocations familiales, les joueurs de boules. Devant un Bâtiment principal, un homme fouille une poubelle. C’est fréquent, dans les rues de Paris.

En arrivant à la Porte, il y a une certaine agitation, des valises, ds sacs. Un car, probablement, vient de déverser son flot de passagers. Une femme, avec son barda, refuse énergiquement de suivre deux hommes qui lui proposent de monter dans leur voiture. Non, je ne vais pas avec vous.

Je traverse la ceinture des Maréchaux, avec son nouveau tramway tout pimpant. Au-delà, l’espace devient plus incertain, diverses bretelles d’autoroutes, des ponts métalliques, le Centre de valorisation et d’apports encombrants de la Ville de Paris. Dans les herbages, une voiture de handicapé semble oubliée là. Elle a quelque chose d’irréel. Je la photographie de dos, avant de me rendre compte qu’un homme en maillot rayé dort tranquillement en dessous d’elle, insouciant d’un groupe de jeunes qui arrivent d’on ne sait où. Je me hasarde vers une des routes.

Juste à côté des Services de propreté de la Ville de Paris, où les employés en gilet fluo s’affairent, un vieil homme fouille un amas de baluchons, qui semble indiquer qu’une évacuation, effectivement, a eu lieu.

Derrière un pont, un Novotel tout frais, en briques rouges, avec une grande affiche d’avion blanc, je ne sais quelle entreprise « …IMAGINE LE CIEL A VOTRE PORTE ». Puis, des palissades, couvertes de vieilles affiches de concerts à La Cigale et autres lieux, surmontées de barbelés. Un grand panneau défraîchi annonce LA LIGNE 12 EST EN CHEMIN.

Par une sorte de petites fenêtres, j’entrevois, derrières elles, de petits groupes, des hommes, des femmes, des enfants. Il y a là, de toute évidence, dans les gravas, une communauté vivante. J’arrive, par une entrebaillure à prendre quelques photos, des hommes, une jeune femme, un garçon vêtu de bleu. Puis une baraque précaire, qui doit servir de logement. Des enfants encore, une famille, un père qui porte joyeusement son fils sur le dos. Une voiture..

Je reviens sur mes pas. Un gars pousse un caddy plein de je ne sais quels précieux déchets. Un homme pisse de manière grandiose sur un pilier d’autoroute. L’homme au caddy abandonne un instant son butin et va l’imiter.

Dans les herbages, une famille. Le père me voit, repère mon appareil photo. D’un mouvement explicite, il me demande si je veux le photographier montrant son cul. J’obtempère sans broncher. Les femmes rient. Il se met en position, je prends la photo sur fond de Sacré-Coeur.

Puis je m’avance vers les bretelles d’autoroute, où j’aperçois de pauvres hères. Certains essayent de nettoyer les pares-brises. Des femmes, jeunes et moins jeunes, attendent visiblement autre chose.

Je reviens vers le boulevard, où la vie est moins inquiétante. Un homme vend des marrons braisés à une jeune femme, lunettes noires, oreillettes de baladeurs, châle élégant.

Le drapeau français flotte fièrement au-dessus du site. Il est temps que je rejoigne Mina au Centre Georges Pompidou, où nous avons prévu de visiter l’exposition « Qu’est-ce que la photographie ? ». Un inconnu s’interpose, s’excuse. Trop tard, lui aussi est sur la photo.

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Paris, 1er juin 2015.

P.S. Le campement que je n’ai pas vu, qui était entre La Chapelle et Barbès, a été évacué ce matin,  2 juin.