
Cemetery of Splendour (รักที่ขอนแก่น, Rak ti Khon Kaen) d’Apichatpong Weerasethakul
Un des charmes de Paris est qu’on peut y continuer le Festival de Cannes, à moindres frais et sans les queues épuisantes. Rue Champollion, le cinéma Reflets Médicis propose ces jours-ci la programmation de la sélection « Un certain regard ». L’occasion de s’offrir quelques séances de rattrapage.
Hier nous avons vu Cemetery of Splendour (รักที่ขอนแก่น, Rak ti Khon Kaen) d’Apichatpong Weerasethakul. Le réalisateur thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, qui se fait appeler Joe par une courtoisie toute orientale, nous avait déjà ravi avec Tropical Malady et surtout Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures, Palme d’Or 2010. Mina avait eu la chance de voir Cemetery of Splendour à Cannes et en était revenue enchantée – c’est le mot pour ce cinéma magique. Le synopsis s’en lit comme suit :
Des soldats atteints d’une mystérieuse maladie du sommeil sont transférés dans un hôpital provisoire installé dans une école abandonnée. Jenjira se porte volontaire pour s’occuper de Itt, un beau soldat auquel personne ne rend visite. Elle se lie d’amitié avec Keng, une jeune médium qui utilise ses pouvoirs pour aider les proches à communiquer avec les hommes endormis.
Un jour, Jenjira trouve le journal intime de Itt, couvert d’écrits et de croquis étranges. Peut-être existe-t-il une connexion entre l’énigmatique syndrome des soldats et le site ancien mythique qui s’étend sous l’école ? La magie, la guérison, la romance et les rêves se mêlent sur la fragile route de Jenjira vers une conscience profonde d’elle-même et du monde qui l’entoure.
Il ne faudrait pas croire que le cinéma de Joe trouve ses racines uniquement dans les philosophies orientales et les croyances populaires de son pays. Son premier long métrage Dokfa nai meuman – Mysterious Objecr at Noon (je ne l’ai pas vu) faisait paraît référence à la pratique des cadavres exquis des surréalistes. Dans Cemetery of Splendour le personnage du medium, la lecture des rêves de ceux qui dorment pourraient bien être sortis de l’univers de Robert Desnos. Les lampes aux chromatismes variables, qui enregistrent les modulations des rêves des soldats endormis pourraient également trouver leurs racines dans l’univers des nuits aux néons chères aux surréalistes.
On retrouve par intermittence d’univers de jungle proliférante et magique qui faisait le charme d’Oncle Bonmee, une nature luxuriante comme dans les toiles du Douanier Rousseau. Mais l’évocation du cimetière des empereurs, le sommeil des soldats, les blessures aux jambes de Jenjira (mariée à un Américain) permettent de supposer une métaphore politique, d’une civilisation déchue, soumise à l’impérialisme yankee, à la dictature militaire, à la censure, aux détentions arbitraires, à la torture. Le rêve, nous dit Joe, est devenu le refuge à cet état de fait.
Il m’est difficile de parler en détail du film, qui m’a mis dans une sorte d’état d’hypnose. Non que je me sois endormi, cela m’arrive parfois. Mais mes yeux desséchés se fermaient parfois, me faisant perdre tel sous-titre de répartie hilarante. Je me retrouvais un peu comme un de ces soldats endormis, alors qu’à côté de moi Mina veillait. Il m’est même, à un moment, arrivé de me demander si un des plans que je voyais à l’intérieur de moi-même venait du film ou des propres songes. Impression étrange, qui me donne envie de voir à nouveau ce film onirique et, plus que tout autre, d’une apaisante douceur.
P.S. Si vous n’avez pas l’occasion de voir le film – sa sortie commerciale est annoncée pour septembre 2015 – visitez le magnfique site Kick the Marchine où Joe et ses amis présentent leurs projets.
Paris, 31 mai 2015.
P.S. (2 juin 2015). je reçois un aimable message de Sompot Chidgasornpongse, l’assistant d’Apichatpong. Il précise « Robert Desnos is new to us. Thank you for pointing us to him!« .
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