
J’apprends le décès de l’un de mes professeurs de latin, André Sarlet. Perdu de vue depuis quarante ans, mais pas oublié. C’était le plus mystérieux des enseignants, qui était en salle de classe comme absent, perdu dans des rêves, des lectures, des amours, je ne sais. Regard d’aigle blessé. Des angoisses, en tout cas. Il nous dit un jour que Julien Green était son auteur préféré, ce qui donne peut-être la clé de ses tourments. S’habillait de noir et de chemises d’un mauve sombre. Se grattait les joues, comme énervé, puis repoussait sa mèche de cheveux. Ironie grinçante, désabusée. Il me fit admirer Cicéron et Sénèque, découvrir le poème de Lucrèce sur les poussières vues au travers d’un rayon de lumière, observation fondatrice du matérialisme. Les Catilinaires. Un peu de Tite-Live. Mais Sénèque, surtout, qui parlait de la mort au moment où j’avais besoin qu’on m’en parle. Mon père était mourant, en ces années-là.
« Que tes méditations journalières tendent à quitter sans regret cette vie que tant d’hommes embrassent et saisissent, comme le malheureux qu’entraîne un torrent s’accroche aux ronces et aux pointes des rochers. La plupart flottent misérablement entre les terreurs de la mort et les tourments de l’existence; ils ne veulent plus vivre et ne savent point mourir.Veux-tu que la vie te soit douce? Ne sois plus inquiet de la voir finir. La possession ne plaît qu’autant qu’on s’est préparé d’avance à la perte. Or quelle perte plus facile à souffrir que celle qui ne se regrette point? Exhorte donc, endurcis ton âme contre tous les accidents, possibles même chez les maîtres du monde. » (Lettres à Lucilius).
Un jour d’examen écrit, je fis une traduction qui, sur une page entière, était un complet contresens, basée sur une erreur de compréhension du mot infans. Il me dit en souriant : « André, tu as beaucoup d’imagination ».
Bel hommage au vieux maître stoïcien!
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