Bref retour, hier, à Strasbourg, pour une aimable fête d’adieux au Cinéma Odyssée, dont les collègues ont tenu à m’honorer. Et dernier pèlerinage Rue de la Mésange. Dans ses Mémoires d’un surréaliste (La Jeune Parque, Paris, 1968), le poète Maxime Alexandre raconte les visites d’Aragon à Strasbourg durant l’été 1923. L’auteur d’Anicet ou le Panorama était alors amoureux d’une strasbourgeoise, Denise Levy, qui deviendra, dans le magnifique Aurélien, le « piloti » de Bérénice. Les tenues vestimentaires d’Aragon (code du jeune homme de bonne famille, mais tête nue, foulards provençaux entortillés de façon à faire un semblant de col et un devant de chemise), la morgue jouée, les apostrophes glaciales et injurieuses font scandale dans les rues de la capitale alsacienne, conformiste comme elle l’était déjà à l’époque.
« Au cours de nos promenades, lorsqu’un passant marquait sa réprobation à l’égard de notre élégance insolite, Aragon s’arrêtait et fixait son regard sur l’audacieux nigaud, ne laissant à celui-ci d’autre ressource que la fuite.
Nous allions quelquefois à la « Librairie de la Mésange », et on avait fini par repérer son identité.
Un après-midi, un poète du cru, qui avait souvent cherché à me soumettre sa production, s’approcha de moi avec l’arrière-pensée d’être présenté à Aragon; « Voilà, lui dis-je, je vous présente Georges Vidal, journaliste à Paris.
– Ah, fit le jeune homme, sachant bien qu’il s’agissait de Louis Aragon, dans quels journaux écrivez-vous ?
– Mais dans tous, répondit Aragon, je n’ai pas de préjugés« .
