Les déménageurs sont comme Asmodée, dans Le diable boiteux de Lesage : ils soulèvent les toits des maisons et observent la société, tous étages, tous quartiers, toutes classes sociales. L’un des trois gars venus ce matin pour vider notre appartement a ce petit côté diabolique. Il pose sont joint avant de se mettre au travail, porte sur la tête un foulard noué à la pirate. Son tee shirt « Charleroi 2009 » lui a été offert par un client, le producteur de Patricia Kaas qui a organisé un concert dans cette belle ville. Il se plaint un peu de la lourdeur de mes cartons de livres. Mon humour l’est un peu aussi : « Les choses de l’esprit sont les plus lourdes ». « Ah non ! Ce qu’il y a de plus lourd, c’est la bêtise de notre maître d’exécution ! ». Il me parle des déménagements pénibles : les divorces ; les successions controversées, un gendarme est parfois nécessaire ; les expulsions : une dame avait six mille euros de dettes téléphoniques. Je lui demande si il y a des départs vers Israël, comme il en est de plus en plus question dans la presse. « Non, pas vraiment, ce serait même plutôt le contraire ». Et puis : « Ce qu’il y a eu d’intéressant, ça a été après l’élection de François Hollande : on a eu beaucoup de déménagements de Strasbourg-Nord vers la Suisse ou le Luxembourg. Tenez Madame… ». Il s’arrête, se retient comme pris par un brusque soucis du respect de la confidentialité. Il reprend le travail, empoigne d’un coup deux cartons. Coblence pendant la Révolution, aujourd’hui la Suisse et le Luxembourg. Plus ça change, plus c’est la même chose.
Strasbourg, 16 mars 2015.