
Revu ce soir, quarante ans plus tard, Jetons les livres et descendons dans la rue ! de Shuji Terayama (Japon, 1971). Je me souviens encore du choc qu’avait été le visionnement de ce film, projeté par Hadelin Trinon, au Cinéma le Parc, en 1974 ou 1975. Film marxo-punk, envoyant en pleine figure l’aliénation du Japon à l’époque de son boom économique, de la guerre du Vietnam, de la révolte contre la domination américaine. Le Japon, « un lézard élevé dans une bouteille de Coca-Cola, qui est devenu tellement gros qu’il ne peut plus en sortir ». Je n’avais pas oublié l’histoire de ce jeune homme perdu, bègue, se rêvant comme un aéroplane humain. « Le bégaiement est une idéologie. Même la Cinquième Symphonie de Beethoven bégaye ». Je me souviens d’un camarade, bègue lui-même, qui m’avait dit à la sortie, d’une voix nette et émue : « Voilà un film qui m’a guéri ». Un film qui aguerrit. J’en avais organisé une projection, tout aussi chaotique que la prise d’images, à La Salle Gothot, pendant une grève avec occupation de la fac. Le projectionniste s’était trompé dans l’ordre des bobines et cela ne se remarquait pas trop. C’est un film discontinu, une sorte de pot au feu mélangeant les styles, les thèmes, les vies brisées. Réalisme, onirisme, distanciations brechtiennes, érotisme, poésie. Document d’époque, il a gardé sa force et son universalité. La preuve, Mina l’a aimé comme une découverte.

Strasbourg, 19 février 2015