Ronron sourd du train, de temps à autre un son fuyant qui doit être celui d’un aiguillage, une secousse, un sifflement, le ronron toujours, comme une sécurité moelleuse, vibrations d’une porte vitrée, souffle puissant d’un autre train qu’on croise, un tintillement, d’où vient-il, tagdag, tagdag, rou, rou, schlag, rouin, broum, schlag,… tagdag, vrun vrun, tintillement, souffle, grouin grouin, un ressort du fauteuil, schluuuun, tagdag, un grincement, cela n’en finit pas, mais cela varie, variations variantes, varlope des vagons, vagissement des vagabonds, tiens là on dirait qu’il ouvre un parachute, il va s’arrêter ? non non le voici tranquille à nouveau, presque doux à entendre, apaisé, la plaine d’Alsace probablement, il fait nuit noire, je ne vois rien, un grondement sourd, nouveau, une sorte de régurgitation, quel talent, tagdag, est-ce que les conducteurs de locomotive ont un dictionnaire pour ces bruits, comme les esquimaux en ont un pour les mille nuances du blanc, est-ce qu’il y a des vocables différents pour les trains des amoureux, des fonctionnaires, des immigrés, des familles qui partent à la côte, des soldats qui partent à la guerre, des déportés qui ne vont plus nul part il se calme à nouveau là c’est comme s’il était devenu joyeux tout d’un coup car il conduit le retrouvé à sa retrouvée, il s’emballe, réalise qu’il a pris du retard dès la gare du midi, ne s’est pas excusé gare centrale, s’est enamouré à namur, a excédé ses passagers en gare d’arlon, n’a pas annoncé comme il le fait d’habitude combien de temps il s’arrêterait à luxemboug, n’a pas fait la publicité d’une trattoria à Thionville, il s’ennuie, pas comme des Esseintes, mais comme tous ces bus, ces rames de métro, ces funiculaires qui, tout les jours réitèrent l’itinéraire, le tram 33, mon cher Eugène, clac clac, roum roum, v’la q’ça recommence, toujours la même romance va encore nous parler de la bête humaine, faire son gabin binaire s’arrête a saverne, pousse un gros soupir de porte coup de sifflet, mais le match ne reprend pas, comme une sirène, nouveau soupir, soufflerie, petite secousse, ça grince, mugissement, on dirait les sous-titres pour malentendants dans les films de Terence Davies édités par le BFI, ramram a retrouvé sa vitesse, secousse vers la gauche, secousse vers la droite, Bas Rhin toujours au centre, et au Bahrein, rumbha, schlag, chiff, chiff, cette porte vitrée qui n’arrête pas de vibrer ; je serai très bientôt dans tes bras, mon amour.
Entre Luxembourg et Strasbourg, 19 mars 2011