Mal branché, une petite brève de librairie

LES CARNETS DE L’ANGE AVEUGLE – Le Paris de Balzac n’existe pas

9 février 2010

Mal branché, une petite brève de librairie

Aux brèves de comptoir, je préfère les brèves de librairie : ces petits échanges entre les libraires et les clients qui, plus souvent que l’esprit, révèlent l’inculture, la désinvolture, ou en tout cas un rapport maladroit, malhabile, malheureux avec la chose littéraire. Les brèves de librairies sont souvent le fait des clients, mais peuvent tout aussi bien émaner de libraires, distraits, dilettantes ou ignares.  Ou malappris,  mal lunés, pire que les assis de Rimbaud.

La semaine dernière, je vous racontais que je me suis offert les trois volumes de la Comédie humaine qui manquaient à ma bibliothèque. J’ai oublié de vous raconter que, avant de trouver ces volumes VI, VIII et IX , édition  Pléiade, dans une de mes librairies préférées, j’avais essayé de les repérer chez un bouquiniste proche, auquel je n’avais jamais rendu visite.

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En général, un bouquiniste, prudent, tient ses Pléiades dans une armoire fermée à clé, ou derrière son comptoir. Chez celui-ci, rien de tel en vue. Je fais un petit tour des tables, question de sentir l’atmosphère. Du trivial et du rare, une belle édition du Roman comique de Scarron, par exemple. Je remarque, hors de portée de main, une Comédie humaine un simili brun qui somnole en s’étirant sur une étagère. Pas vraiment ce que je cherche.

Le bouquiniste aussi somnole, assis à son bureau. La soixantaine bedonnante, front dégarni, pull-over rouge, grosses lunettes à la Saramago. Je me lance : “Vous n’auriez pas des Pléiades ?”. Il relève le front, un peu perplexe. “Ah, ouskellesmet ?”. Il se penche en dessous du bureau et en sort un à un quelques Pléiades de derrière les fagots. La plupart des volumes sont dans un état de délabrement tel que l’on n’oserait même pas les offrir à la bibliothèque d’une école du neuf-trois.

Il commence à me les identifier : “Marcel Pa… euh Marcel Aymé”. “Alfred de Vigny”. Un exemplaire des années 50., comme mon grand-père m’en a laissé quelques uns…Puis, très fier : “Flaubert !”. C’est l’album…Ensuite vient un volume rouge, qui indique son XVIIème : “Mal…mal…Malbranché !”.

Malbranché ? C’est mal barré… “Mais non ! Malbaisé, Mal aimé, Mallarmé…”. J’ai mal à la philosophie. Je n’ai jamais lu Malebranches, mais quand même ! Balzac le plaçait au même rang que Spinoza, Rousseau, Voltaire… Malotru ! Fleurs du malheur ! Français de mauvaise herbe ! Mauvais aparté ! Je sors sans rien acheter.

A propos de brèves de librairie, j’en profite pour vous signaler une petite mine de petits propos méchants, récemment identifiée en faisant mes petites recherches sur Balzac et Toussaint Louverture. C’est sur le site d’une petite maison d’édition qui, justement, s’appelle “Monsieur Toussaint Louverture”. Il s’y trouve, proposée par un certain Cyrille Proles, des “Chroniques irrégulières d’un libraire en librairie. L’art d’avoir toujours raison” .   “Le libraire perdu dans ses pensées a l’air fatigué, mais son œil brille encore. Essayez de lui poser une question, pour voir. Sachez qu’il a donné à l’art d’être désagréable ses lettres de noblesse. Son fidèle compagnon, le client, y est certainement pour quelque chose, lui qui renouvelle et repousse sans cesse les limites de la demande.”

Je vous laisse le soin de vous confronter vous-même avec ce libraire un rien malveillant avec délices et me contente de lui piquer sa première brève, qui justement, concerne Balzac :

— Je n’ai jamais lu Balzac. Vous me conseillez lequel pour commencer ?
— Bah, vous savez, Balzac c’est Balzac …

 

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