Le trésor de Toussaint-Louverture et l’ordonnance de Charles X sur l’indépendance d’Haïti

LES CARNETS DE L’ANGE AVEUGLE – Le Paris de Balzac n’existe pas

30 janvier 2010

Le trésor de Toussaint-Louverture et l’ordonnance de Charles X sur l’indépendance d’Haïti

 

Les jours passent et déjà la ferveur médiatique qui s’était mise en oeuvre à l’occasion du tremblement de terre de Haïti s’estompe. Les dossiers historiques et les analyses politiques de la tragédie prennent le relais dans les médias, mais la communication du monarque et son combat par tribunal interposé avec son meilleur ennemi ramènent les audiences vers des questions nettement plus sauvages, qui tiennent le téléspecateur en haleine.

Une des conséquences du séisme aura été de nous faire redécouvrir l’histoire de ce pays qui fut, on l’oublie trop, la deuxième République des Amériques, après les Etats-Unis et, au XIXème siècle l’île la plus riche des Antilles. Occupée par les Français et les Espagnols, convoitée par les Anglais durant les guerres révolutionnaires, pour ne rien dire du rôle de la France et des Etats-Unis dans le courant du XXème siècle, Haïti n’a pas cessé d’être le lieu de violences mais aussi la victime séculaire du colonialisme. La lecture de Balzac nous y ramène.

De l’histoire d’Haïti (et de Saint-Domingue) durant la première moitié du XIXème siècle émerge le fier personnage de Toussaint-Louverture, lieutenant noir formé par les Espagnols, qui se ralie à la France révolutionnaire, en devient général, pour ensuite résister à Napoléon et au général Leclerc, qui tentèrent de rétablir l’esclavage dans l’île. Déporté en France, au  fort de Joux, dans le Jura, où il mourra en 1803, Toussaint-Louverture devint rapidement une figure mythique de la lutte contre l’esclavage, admiré par des auteurs d’horizons idéologiques aussi divers que Chateaubriand, Lamartine, Balzac et Michelet.

Balzac le mentionne une fois dans le roman Z. Marcas, reprenant en quelques lignes le mythe du Bon Sauvage qu’avait si amplement développé Jean-Jacques Rousseau :

“Il est des différences incommensurables entre l’homme social et l’homme qui vit au plus près de la Nature. Une fois pris, Toussaint Louverture est mort sans proférer une parole. Napoléon, une fois sur son rocher, a babillé comme une pie ; il a voulu s’expliquer. Z. Marcas commit, mais à notre profit seulement, la même faute. Le silence et toute sa majesté ne se trouvent que chez le Sauvage.”

L’opposition admirative de la dignité du général haïtien à l’empereur déchu n’implique cependant, pour Balzac, aucune illusion sur le personnage. C’est ce qui apparaît dans l’anecdote du trésor de Toussaint-Louverture que nous raconte Théophile Gautier . Celui-ci rapporte l’histoire, dans Portraits contemporains,  pour illustrer les rêves de richesse de son ami Balzac, mais aussi sa  capacité de s’identifier à ses personnages. Que mon lecteur suisse veuille bien m’excuser d’être long : le texte de Gautier est tellement savoureux que je préfère le reproduire in extenso plutôt que d’en fournir un mauvais résumé insipide comme on en  trouve sur Wikipédia.

Balzac “ne rêvait donc que tonnes d’or, monceaux de diamants et d’escarboucles, et, au moyen du magnétisme, avec les pratiques duquel il était depuis longtemps familiarisé, il faisait rechercher à des somnambules la place des trésors enfouis et perdus. Il prétendait avoir appris ainsi de la manière la plus précise l’endroit où, près du morne de la Pointe-à-Pitre, Toussaint-Louverture avait fait enterrer son butin par des nègres aussitôt fusillés. – Le Scarabée d’or, d’Edgard Poe, n’égale pas en finesse d’induction, en netteté de plan, en divination de détails, le récit enfièvrant qu’il nous fit de l’expédition à tenter pour se rendre maître de ce trésor, bien autrement riche que celui enfoui par Tom Kidd au pied du Talipot à la tête de mort.

Nous prions le lecteur de ne pas trop se moquer de nous, si nous lui avouons en toute humilité que nous partageâmes bientôt la conviction de Balzac – Quelle cervelle eût pu résister à sa vertigineuse parole ? Jules Sandeau fut aussi bientôt séduit, et comme il fallait deux amis sûrs, deux compagnons dévoués et robustes pour faire des fouilles nocturnes sur l’indication du voyant, Balzac voulut bien nous admettre pour un quart chacun à cette prodigieuse fortune. Une moitié lui revenait de droit, comme ayant découvert la chose et dirigé l’entreprise.

Nous devions acheter des pics, des pioches et des pelles, les embarquer secrètement à bord du vaisseau, nous rendre au point marqué par des chemins différents pour ne pas exciter de soupçons et, le coup fait, transborder nos richesses sur un brick frêté d’avance; – bref, c’était tout un roman, qui eût été admirable si Balzac l’eût écrit au lieu de le parler.

Il n’est pas besoin de dire que nous ne déterrâmes pas le trésor de Toussaint-Louverture. L’argent nous manquait pour payer notre passage; à peine avions-nous à nous trois de quoi acheter les pioches”.

On notera “le butin enterré par les nègres immédiatement fusillés”.  Outre la médisance qui consiste à lui attribuer un trésor (nécessairement dérobé à son peuple) Balzac crédite le héros haïtien d’un cynisme sanguinaire. Il est vrai que ses Mémoires et les historiens nous apprennent que Toussaint-Louverture n’avait rien d’un tendre et qu’il a inauguré dans l’histoire haïtienne une triste série de héros nationaux s’attribuant le pouvoir absolu, à la force des baïonnettes et des machettes. Mais il aussi été calomnié et vilipendé par ses ennemis  – cela se pratiquait déjà à l’époque – et j’essaye d’imaginer  quels étaient en Haïti les échos des violences de la révolution qui se déroulaient en métropole.

Avant de continuer sur le thème “Balzac et Haïti”, une petite digression sur le thème des trésors enfouis et des voyages. L’autre samedi, lors de ma promenade déjà célèbre avec ma très chère M. vers la rue Neuve-Sainte-Geneviève, pour y photographier la pension Vauquer, nous avons croisé, au coin de la rue Ortolan et de la rue Mouffetard un groupe d’amoureux de Paris écoutant avec attention les explications de leur guide sur une histoire qui aurait fait baver Balzac d’envie. En 1938, à l’endroit où se trouve aujourd’hui la belle librairie de l’Arbre du Voyageur, un terrassier espagnol découvrit au hasard d’un chantier 3000 pièces d’or à l’effigie de Louis XV. Le terrassier fut assez honnête pour déclarer sa découverte à la municipalité. Il apparut que les 3000 pièces avaient été cachées par un sieur Nivelle, écuyer du roi. Par un testament qui accompagnait le trésor, celui-ci léguait cette fortune à sa fille Anne-Louise. Il a fallu des années pour que l’on retrouve les 80 héritiers de la dame.

Mais revenons à notre propos.

Dans Gobseck, ce portrait d’un usurier juif avide d’or, comme les chercheurs de trésors, on peut trouver une allusion à l‘ordonnance de 1825 par laquelle le roi Charles X avait reconnu l’indépendance de Haïti. L’article II de cette ordonnance demandait une compensation pour les colons français : “Les habitants actuels de la partie française de Saint-Domingue verseront à la Caisse des Dépôts et Consignations de France en cinq termes égaux, d’année en année, le premier échéant au 1er décembre 1825, la somme de cent cinquante millions de francs, destinée à dédommager les anciens colons qui réclament une indemnité.Des militants haïtiens n’hésitent pas à considérer les exigences de cette ordonnance comme une rançon et une pétition en demandait naguère le remboursement.

Balzac, qui cherche toujours à ancrer les manoeuvres financières de ses personnages par rapport au contexte économique et juridique, nous trace ainsi le portrait de Gobseck :

“Malgré son état de faiblesse, Gobseck recevait encore lui-même ses pratiques, ses revenus, et avait si bien simplifié ses affaires qu’il lui suffisait de faire faire quelques commissions par son invalide pour les gérer au dehors. Lors du traité par lequel la France reconnut la république d’Haïti, les connaissances que possédait Gobseck sur l’état des anciennes fortunes à Saint-Domingue et sur les colons ou les ayant-cause auxquels étaient dévolues les indemnités, le firent nommer membre de la commission instituée pour liquider leurs droits et répartir les versements dus par Haïti. Le génie de Gobseck lui fit inventer une agence pour escompter les créances des colons ou de leurs héritiers, sous les noms de Werbrust et Gigonnet avec lesquels il partageait les bénéfices sans avoir besoin d’avancer son argent, car ses lumières avaient constitué sa mise de fonds.”

Je ne sais si des historiens ont investigué sur la réalité de cette commission des avantages spéculatifs qu’auraient pu en tirer les prêteurs à gage. Toujours est-il qu’il est pour le moins troublant de constater que c’est à un usurier “fils d’un Hollandais et d’une Juive anversoise” que Balzac attribue ces sombres pratiques. Ce n’est pas la première fois que nous le prenons en flagrant délit d’antisémitisme. Pour mieux dédouaner les Français de ce tribut imposé par la Monarchie agonisante à une jeune République ?

Nous gouvernerons la rosée“, chantait Toto Bissainthe.

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