Les auras ouvertes du Collège Henri IV
Sur le petit calepin jaune de mon iPhone, où je note soigneusement, au fil de mes lectures, les lieux balzaciens à photographier, j’avais repéré, sans trop de conviction, “Collège Henri IV, rue Clovis”. A quoi bon photographier un portail, déjà vu ici et là ? Et puis le collège n’est cité qu’en passant, par Renée de l’Estorade, dans une lettre adressée à son amie Louise de Chaulieu, celle qui l’appelle “ma biche”, pour lui décrire la tranquillité de sa vie familiale parisienne, à vrai dire un peu fade :
“Ah ! Louise, je suis une bienheureuse mère ! Mes enfants continuent à me donner des joies sans ombre. (Senza brama sicura richezza.) Armand est au collège Henri IV. Je me suis décidée pour l’éducation publique sans pouvoir me décider néanmoins à m’en séparer, et j’ai fait comme faisait le duc d’Orléans avant d’être et peut-être pour devenir Louis-Philippe. Tous les matins, Lucas, ce vieux domestique que tu connais, mène Armand au collège à l’heure de la première étude, et me le ramène à quatre heures et demie. Un vieux et savant répétiteur, qui loge chez moi, le fait travailler le soir et le réveille le matin à l’heure où les collégiens se lèvent. Lucas lui porte une collation à midi pendant la récréation. Ainsi, je le vois pendant le dîner, le soir avant son coucher, et j’assiste le matin à son départ. Armand est toujours le charmant enfant plein de coeur et de dévouement que tu aimes ; son répétiteur est content de lui.” (Mémoires de deux jeunes mariées).
Mon petit dieu Hasard, ce samedi, était aussi déterminé que d’habitude. Pour satisfaire aux demandes de plus en plus pressantes de mes lectrices, je m’étais rendu rue Neuve-Sainte-Geneviève pour y photographier la fameuse pension Vauquer. Mission accomplie, batterie de mon caméscope quasi épuisée, je me retrouve sans l’avoir cherché rue Clovis.
Et là, moment de bonheur : c’est journée Portes ouvertes au Lycée Henri IV. Information pour la préparation à l’entrée dans les Grandes Ecoles. J’attrape M. par la manche, et, sans hésiter, nous franchissons le portail.
Il parait qu’il y a quelques années, à l’occasion d’un anniversaire de la vénérable institution, pas moins de quatre-vingt écrivains, tous formés par la maison, sont venus dédicacer leurs livres. Et bien, je ne sais pas si il y en a un seul qui serait capable de décrire l’émoi d’un provincial, la cinquantaine passée, qui trouve enfin l’occasion d’entrer, à l’improviste, dans ce lieu mythique. Au fin fonds de ma banlieue, j’ai toujours su que ce collège existait. Appelez-le lycée si vous voulez, Napoléon, Corneille, Henri IV, je me fiche ici des terminologies passées et récentes. Je note que “Lycée Henri IV” date de 1873, deux ans après la Commune, question d’afficher l’esprit de tolérance, je suppose. Mais je m’en tiens au “Collège Henri IV”, pour rester ici fidèle à la terminologie balzacienne.
Pourtant, ce n’est pas par Balzac que j’ai découvert l’existence du Henri IV, mais par Duhamel, Georges évidemment et pas ce directeur de télévision, qui co-signe aujourd’hui dans la presse un petit pamphlet vengeur contre un député de l’opposition qui a eu le mauvais goût de poser un lapin puis de demander quelques têtes, comme cela se faisait à l’époque de Camille Desmouslins. La chronique des Pasquier fut, avant Les misérables, avant Le comte de Monte Cristo, avant Le Père Goriot, ma véritable entrée en lecture. Mon père, admirateur, comme Duhamel, du grand Louis Pasteur, avait probablement attiré mon attention sur ce cycle familial, dont le personnage central, Laurent Pasquier, avait mon âge et m’incitait à partager son idéalisme de futur savant. Ce n’est donc pas samedi dernier, mais il y a quarante ans, que je suis entré à Henri IV. Dans Le jardin des bêtes sauvages, si je me souviens bien. Et je m’en suis bien sorti. Un jour, lors d’un oral à l’Université de Bordeaux, comme je masquais habilement mon ignorance de la question par l’étalage de la diversité de mon savoir, l’examinateur me demanda si j’avais fait la khâgne à Henri IV. De la Montagne Sainte-Geneviève au campus de Talence, quelle déchéance !
Vous, les anciens, les actuels et les futurs du Henri IV, vous ne saurez jamais ce qu’est l’humiliation du lecteur de quatorze ans lorsqu’il réalise, à travers la littérature, et bientôt à travers les biographies d’écrivains, que son lycée à lui, dans sa province lointaine, même pas française, isolé à l’orée d’un bois pour apaiser les poumons des jeunes fils de métallos et de mineurs, la plupart nés en Sicile ou dans le Frioul, que son lycée à lui n’est pas réputé être ce lieu magique, propice à l’éclosion des talents, où les professeurs – dans L’interdiction une requête “écrite par un premier clerc” accusera ce vieux dément de marquis d’Espard de les traiter avec mépris de lettrés – sont de jeunes gloires et les condisciples, amis et futurs concurrents, s’inquiètent déjà de ce qu’ils apporteront à la littérature, au journalisme ou à la politique du pays. L’inégalité devant le lycée, vous l’apprendrez peut-être lorsque vous lirez Les héritiers de Pierre Bourdieu – est-ce qu’on vous en parle encore, ou est-il déjà au purgatoire? -, vous ne pourrez la connaître là, physiquement, dans le lointain gris des bahuts de banlieue.
A vous, l’ombre voisine des grands hommes, fusée traçante de vos destinées, aux autres la lueur incertaine de la promotion par le mérite, ce gris fanal des illusions républicaines.
Enfin, j’entre, pour percevoir un instant les multiples auras, micro-moléculaires et diaphanes, qui hantent les lieux. Ces grands noms que me légua mon grand-père : Alain, Bergson, Gide,…et ceux dont la rumeur m’arriva plus tard, grâce au Nouvel Obs et autres propagateurs d’aura : Fernand Braudel, Michel Foucault, Julien Gracq… Et Jarry, chéri, et Bory, Jean-Louis, qui, habitant au-dessus d’une salle de cinéma, se vantait de pouvoir descendre en séance dans un simple pyjama. Et Léon-Paul Fargue, brouillé pour je ne sais plus quoi avec l’ami Larbaud. Et Musset (prévenons-le de ses mauvaises fréquentations récentes), et Maupassant, et Sartre, et Nizan – que j’ai lu pour noyer mes vingt ans – et Perec, que je ne vis pas pleurer au fonds d’une mine liégeoise, la vie a de ces tristesses.
Nous découvrons la magie du lieu, la cour des externes, le cloître, l’escalier de la Vierge, les ornementations baroques du plafond à l’entrée de la bibliothèque, mais nous ratons la salle des médailles, dont parait-il le plafond s’effrite , risque de tomber et est retenu par des filets. C’est que l’endroit a aussi ses grisailles, couloirs lugubres et préfabriqués provisoires, qui sont là depuis une génération. Les associations de parents, d’ailleurs, se plaignent au Président de région. Le lycée de nos enfants devrait bénéficier des mêmes crédits de rénovation que ceux alloués naguère à Louis le Grand ou Saint-Louis. Ah ! Ne nous parlez pas d’Aubervilliers…
Les mythes s’usent néanmoins. J’apprends dans le bilan statistique de l’Internaute que le taux de réussite au bac de la série L s’est brusquement effondré en 2008 : 98 % seulement, soit moins 2 % par rapport à l’année précédente. Qui accuser ? Armand de l’Estorade ou les fils du Marquis d’Espard, qui négligea tellement leur éducation ?
Armand de l’Estorade, recalé au bac ? Vous n’y pensez pas ! Renée à Louise, devenue Madame Marie Gaston :
“Armand, qui pendant les trois premières années de ses études a été lourd, méditatif, et qui m’inquiétait, est tout à coup parti. Sans doute il a compris le but de ces travaux préparatoires que les enfants n’aperçoivent pas toujours, et qui est de les accoutumer au travail, d’aiguiser leur intelligence et de les façonner à l’obéissance, le principe des sociétés. Ma chère, il y a quelques jours, j’ai eu l’enivrante sensation de voir au concours général, en pleine Sorbonne,Armand, couronné. Ton filleul a eu le premier prix de version. A la distribution des prix du collège Henri IV, il a obtenu deux premiers prix, celui de vers et celui de thème. Je suis devenue blême en entendant proclamer son nom, et j’avais envie de crier : Je suis la mère ! Naïs me serrait la main à me faire mal, si l’on pouvait sentir une douleur dans un pareil moment. Ah ! Louise, cette fête vaut bien des amours perdues. Les triomphes du frère ont stimulé mon petit René, qui veut aller au collège comme son aîné.” etc, etc.
Vous savez, HIV, c’est un virus terrible. Dans l’enquête de l’Internaute, une Sophie témoigne de son bonheur de jeune HIVème :
“L’avis de Sophie (Paris): Le meilleur lycée.
C’est un lycée où tout le monde s’entend qui accueille des élèves venant de Paris mais également de la banlieue, qui aide les élèves en difficulté et qui motive ses élèves. En un mot : HIV est génial.
Ce que j’aime : La qualité de l’enseignement, l’encadrement des profs, l’ambiance.
Ce que je n’aime pas : La cantine, les préfas.”
Les préfas ? Pauvre chérie, à peine mieux qu’une maternelle en Haïti, ce collège !
Toujours maîtres de l’apoc, les cops ! Bah, du moment qu’on leur apprend toujours à lire les préfaces…
Commentaires |
C’est un ancien d’Henri iV qui vous le dit !