Tremblements de terre

LES CARNETS DE L’ANGE AVEUGLE – Le Paris de Balzac n’existe pas

15 janvier 2010

Tremblements de terre

Tremblement_de_terre

Séisme de 1843 à La Guadeloupe (source : Gallica / BNF)

Le mot “séisme” ne se trouve pas dans La Comédie humaine. Balzac semble avoir nourri un certain mépris pour la géologie, rangée, dans Les Paysans au rang des hobbies pour les propriétaires de province qui s’ennuient à la campagne. A la tectonique des plaques, il préfère la tectonique des classes.

Un tremblement de terre est mentionné, néanmoins, dans La Muse du Département. Après son amour adultère avec le journaliste Lousteau, Dinah de la Baudraye, la poétesse de Sancerre, suit son mari à Paris, où il devient un fidèle serviteur du roi des Français, Louis-Philippe. Elle devient une femme en vue.

Néanmoins cette nouvelle dissipa la mélancolie de madame de La Baudraye, qui se jeta dans la vie des femmes à la mode ; elle voulut avoir du succès, et elle en obtint ; mais elle faisait peu de progrès dans le monde des femmes ; elle éprouvait des difficultés à s’y produire. Au mois de mars, les prêtres amis de madame Piédefer et l’Avocat-Général frappèrent un grand coup en faisant nommer madame la comtesse de La Baudraye quêteuse pour l’oeuvre de bienfaisance fondée par madame de Carcado. Enfin elle fut désignée à la cour pour recueillir les dons en faveur des victimes du tremblement de terre de la Guadeloupe.” 

Anne-Marie Meininger, qui édite ce roman pour La Pléiade, commente :

Mme de Carcado et son oeuvre sont bien réelles, et, de même, malheureusement, les victimes d’un des tremblements de terre de la Guadeloupe, alors si nombreux qu’il est peu facile de savoir auquel Balzac fait allusion.”

J’essaye d’imaginer Madame Meininger, au milieu des années 70, essayant de se documenter sur les tremblements de terre à La Guadeloupe dans la première moitié du XIXème siècle. Affronter la machine bibliothécaire française, rue Richelieu, je suppose, pour une datation aussi insignifiante. Aujourd’hui, tout est différent. Un petit coup d’oeil dans Google et vous tomber sur l’article de Wikipedia Séisme aux Petites Antilles – 1843. Le tremblement de terre du 8 février 1843, qui secoua la Guadeloupe, fut le plus violent qui secoua les Amériques jusqu’à celui qui dévasta le Chili en 1960. Il y aurait eu 3000 morts à Point-à-Pitre.  Des collectes de solidarité furent organisées, notamment à La Rochelle et à Paris, au Palais-Royal. Il arrive à Balzac de commettre des anachronismes, mais ici, cela colle. Le paragraphe suivant se passe en mars 1843…Suggérons donc qu’à la prochaine mise à jour de l’édition, une petite révision de la note…

A l’époque de Google, il est très facile d’être pédant. Excusez-moi, Haïti souffre plus que jamais et j’ergote sur une datation balzacienne. Que faire ? Aider les Madames de Carcado et les comtesses de la Baudraye d’aujourd’hui dans leur travail caritatif? Oui, on voudrait y croire.

Mais j’ai connu cela, le grand mouvement de solidarité en Wallonie, en novembre 1980, après le tremblement de terre de l’Irpinia.  Essayer de faire converger les dons collectés, faire parvenir du sang à l’hôpital d’Eboli, accompagner un grand camion plein de vêtements et de nourriture jusqu’à un hangar, au pied d’un village  perdu dans la montagne, détruit, aplati comme un château de cartes. Dans les vieilles rues de Naples, à Mergellina, les immeubles soutenus par d’improbables poutres de bois…Le débat politique, aveugle aux nuances et à l’urgence, le contrôle idéologique de l’aide, la méfiance vis à vis de l’armée… A un moment, oui, la tectonique des plaques dévoile la tectonique des classes : ceux qui s’en tirent, ceux qui en profitent, ceux qui resteront des années encore sans que les aides  promises leur arrivent, qui resteront là, dans des préfabriqués (pré-fabriqués pour les détresses pré-vues), sans  pouvoir construire la nouvelle maison qui sera leur nouvelle vie. Mes illusions perdues datent de cet hiver-là. La générosité immédiate est bien peu de chose. Et déléguer sa générosité à des structures organisées, aussi intègres soit-elles, ne résout rien de votre douleur, confortable mais réelle, de témoin lointain de tels désastres.

Balzac n’aide pas à calmer cette douleur de la solidarité blessée.

La seule chose que je puisse faire, c’est de vous inviter à écouter Toto Bissainthe, qui nous a quitté il y a quinze ans déjà, chanter “Haïti, mon pays…”. 

Ecouter Toto Bissainthe, son cri créole, ses mélopées de douleur et de rage, c’est déjà rendre aux Haïtiens un peu de leur dignité, un peu de leur droit à exister. Un chauffeur de taxi haïtien m’a dit cela, un jour, au coin de la rue Oberkamp et de l’Avenue de la République.

P.S. Après avoir terminé ce billet, je trouve cet intéressant article sur le blog Veilleur de jour qui indique que les géologues haïtiens avaient indiqué, il y a quelques mois à peine, le risque d’un séisme majeur. Ils n’ont pas été entendus.

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