LES CARNETS DE L’ANGE AVEUGLE – Le Paris de Balzac n’existe pas
22 décembre 2009
1, rue du Hasard
Louise de Chaulieu, une des deux héroïnes de Mémoires de deux jeunes mariées, vient de sortir du couvent pour faire son entrée dans le monde. Sa métamorphose est en cours. “Une célèbre couturière, une certaine Victorine est venue, ainsi qu’une lingère et un cordonnier.” Balzac n’identifie pas cette Victorine, mais la note en fin de Pléiade m’intrigue : “Sans doute Victorine Pierrard, établie 1, rue du Hasard, tout près de l’imprimerie Porthmann qui composa le début de l’édition originale de ce roman. Victorine est plusieurs fois citée dans La Comédie humaine, par exemple dans Le Cabinet des Antiques et Illusions perdues.”
Le personnage de Victorine n’est pas bien important et l’identification du personnage source un peu aléatoire. Mais j’aime le hasard, j’ai depuis longtemps un faible pour la théorie du “hasard objectif” proposée par André Breton (qui n’aimait pas Balzac et m’en a détourné pendant une longue période). Je m’y rends. La rue est déserte. Je croise une jeune Japonaise, m’écarte pour lui laisser le bénéfice de l’étroit trottoir. Elle me dit “merci”, avec un joli accent. Voici la façade du n°1. Heureuse association de couleurs.

Photographies : André Lange-Médart
Un ouvre-porte automatique me permet d’entrer sous le porche, de voir la petite cour. Le concierge, probablement portugais, se précipite, me demande qui je cherche. Je lui dit que je viens simplement visiter un lieu balzacien. Son visage s’illumine. Avec fierté, il éclaire la cage d’escalier. Je lui demande s’il veut figurer sur la photo, il prend la pose avec enthousiasme. Mon projet prend vie à ce moment-là.
La rue du Hasard s’appelle aujourd’hui la rue Thérèse, qui croise la rue Sainte-Anne. Il y a quelques années, je fréquentais moi aussi, rue Sainte-Anne, un atelier de graphisme et de composition, où se mettait en forme une de mes publications. Hasard de l’objectif.
P.S. 15 mai 2021
Hillairet indique que le n°1 de la rue Thérèse était une ancienne propriété des religieuses hospitalières de la Roquette. Il ajoute « Cour curieuse. La porte sur rue et la décoration de l’escalier sont classés » et fournit une photo de cette porte en 1918, surmontée d’une enseigne « Bernardin, Larue & Ducher ». Mais c’est dans un article du Parisien que j’apprends que c’est n°1 de la rue Thérèse que Valérie Hervo ouvrit il y a quelques années le club libertin « Les Chandelles », qui fut fréquenté, parait-il, par Thierry Ardisson et Dominique Strauss-Kahn.
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