Bruxelles – 30 novembre 2009.
En mission, pour une conférence organisée avec la Commission européenne. Je loge dans un petit hôtel de la Rue du Congrès, qui ne manque pas de charme, malgré le caractère désert du quartier.
Il fait froid, mais je fais quelques pas dans la nuit. Le quartier du Congrès est mal connu des touristes, et même des Bruxellois. C’est pourtant dans ce quartier qu’eurent lieu quelques uns des hauts faits d’armes de la révolution nationale de 1830 contre l’occupant hollandais. La toponymie, ici, a conservé un peu du souvenir de ce moment là : Rue de la Révolution, Place des Barricades, Rue de la Presse,… Il y a aussi des statues, dont celle de Charlier à la Jambe de bois, cet ancien grognard liégeois qui, bien qu’estropié, fit avec quelques compagnons révolutionnaires les cent kilomètres qui séparent Liège de Bruxelles pour amener un canon et venir jouer un rôle militaire décisif dans le succès de l’insurrection. A l’école primaire, l’instituteur nous en parlait comme d’un héros. Et il reste une chanson, au parolier inconnu.
Il partit ce matin de Liège
à cheval sur un canon.
Partout la foule qui l’assiège
lui dit : bonhomme où vas-tu donc ?
Je vais chasser à la canaille
et vaincre ou mourir pour nos droits.
Tant qu’il y aura de la mitraille
on verra la jambe de bois.
A deux pas, le Cirque royal, où nous venions en famille, en car, quand j’étais gamin, pour assister aux spectacles des Ballets du XXème siècle, dirigés par Maurice Béjart. Souvenir indélébile de la IXème symphonie de Beethoven. Ce moment où les choristes enlèvent leurs manteaux de moine pour apparaître en robe jaune safran. « Freude ! Freude ! Schöner Göttenfunken ». Puis, une autre fois, Les Mariés de la Tour Eiffel, de Darius Milhaud, d’après Jean Cocteau. Jorge Donn traînant le vieux Jean Marais sur le sol, dans un large déplacement circulaire.
Plus tard, 1978, 1979, je suis revenu au Cirque pour les Festivals Contre-Eurovision, où les chanteurs folk de l’Europe venaient donner de la voix contre le Concours Eurovision de la chanson. La première de ces manifestations avait eu lieu dans le cadre des premières élections du Parlement européen. Elle avait été organisée par l’hebdomadaire Pour et le groupe Pour le socialisme, qui entendaient s’opposer à l’Europe institutionnelle, libérale, conservatrice et socio-démocrate, sous domination allemande, en lançant la liste E-non. Résultat, 1,5 % des voix en Belgique, inédit pour l’extrême-gauche à l’époque. L’ambiance de ces concerts était extraordinaire. Nombreuses découvertes, dont celle de Marina Rossel, rossignol catalan, et celle de l’ensemble napolitain E’Zezi – Gruppo Operaio avec son endiablée tammuriata dell’Alfasud qui disait la colère des jeunes confrontés à la fermeture de l’Italsider.
Quelques années plus tard, je suis revenu dans le quartier pour un rendez-vous au C.R.I.S.P., le Centre de recherche et d’information socio-politique, qui y avait ses bureaux. Je me souviens d’avoir demandé à un passant, la bonne soixantaine, style de petit boursicoteur en chapeau gris, comme on en voyait encore à l’époque dans les rues de Bruxelles, où se trouvait la Rue de la Révolution. Je l’entends encore, avec son accent bruxeller que les Français prennent pour l’accent belge : « Une rue de la Révolution à Bruxelles ? Mais ça est pas possible, ça, Môssieu ! ». En termes de connaissances révolutionnaires, notre quidam en était probablement resté à Tintin chez les Soviets. Il faut dire que l’histoire de Belgique n’est jamais la même suivant le lieu où on l’enseigne. A propos de ces concerts de la contre-Eurovision et de cette liste E-non, je ne trouve pratiquement aucune trace sur Internet, malgré la puissance de feu du goulu Google. Peut-être ai-je rêvé ce moment historique. « Et on voudrait que je sois malin ! ».
Album photo ici.
Paris, 22 novembre 2016.
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