Lisbonne – 27 décembre 2008. – Il pleut. La pluie de Lisbonne en décembre est terrible, atlantique, pire que la pluie belge. La ville est grise et triste et l’on aimerait être ailleurs. Alvaro de Campos a écrit sur cette pluie existentielle.
Il pleut beaucoup, il pleut excessivement
Il pleut et d temps à autre il souffle un vent froid…
Je suis triste, très triste, comme si le jour c’était moi.
Je fais quelques pas dehors, malgré tout. A deux pas de notre petit pied à terre de la Rua Pouço dos Negros, je repère un marchand de tabac qui s’affiche fièrement « Tabacaria Pessoa ». Comment ne pas penser au fameux poème « Tabacaria », du même poète imaginaire, Alvara de Campos.
(…) Estou hoje perplexo, como quem pensou e achou e esqueceu.
Estou hoje dividido entre a lealdade que devo
À Tabacaria do outro lado da rua, como coisa real por fora,
E à sensação de que tudo é sonho, como coisa real por dentro (…).
« Aujourd’hui je suis perplexe, comme celui qui a pensé puis trouvé puis oublié.
Je suis, aujourd’hui, dvisé entre la loyauté que je dois
Au marchand de tabac de l’autre côté de la rue, tel une chose réelle en dehors,
Et à la sensation que tout est rêve, tel une chose réelle en dedans. »
Dans l’après-midi, la pluie a cessé, mais la terrasse du café A Brasileira, où j’avais filmé en juillet la vulgarité des touristes tripotant la statue du poète pour un petit pamphlet intitulé L’une de mes constantes préoccupations, est à présent déserte.
Pessoa et ses troupes, voilà mon marchand de tabac. J’achète chez lui des sensations qui partent en fumée. Mal m’en prendra. Est-ce pour moi, qui me verrais volontiers comme un Faust assumé, qu’une jeune belle affichera dans son Wakebook les moqueries de Margarida. On ne fait pas crédit à cette maison là.
Paris, 16 nobembre 2016
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